Questions et Réponses

L’État peut-il dépenser sans emprunter des liquidités sur les marchés ou sans que sa banque centrale en mette à disposition ? 

Telle qu’elle est formulée, cette question comporte des problèmes dans les hypothèses qu’elle implique.

La réponse à cette question est non. Cette réponse se fonde d’abord sur le cas général des États en régime de taux de change flottant et pas seulement du cas spécifique de la France. L’État ne doit pas être analysé comme s’il était n’importe quel agent, qui a besoin d’argent, de liquidités, pour dépenser. Il se trouve que la banque centrale est une branche de l’État en tant que tel. On peut considérer qu’elle est indépendante du Trésor, mais pas de l’État. Lorsque l’État dépense, il dit à sa banque centrale de diminuer les chiffres de son compte de trésorerie pour augmenter le compte de réserves d’une banque. Et cela, techniquement, fonctionnellement, peut se réaliser que le solde du compte du trésor soit positif ou négatif. Dit autrement, la capacité de dépenser de l’État est la même avant et après avoir taxé et vendu des titres d’État. La dépense est une simple opération comptable de débit et de crédit.

Ceci dit, si des lois de l’État viennent mettre des contraintes qui font en sorte que le solde du compte de trésorerie doive être positif, il s’agit alors d’une restriction que l’État s’auto-impose. Mais fonctionnellement cela ne change rien. La difficulté ici est de prendre conscience de la différence fondamentale qu’il y a entre les caractéristiques fonctionnelles intrinsèques du système monétaire et la façon dont il est utilisé.

Cette analyse est applicable également à la France, mais à la condition de ne pas la prendre seule comme unité d’analyse, mais de prendre l’Eurozone dans son ensemble, donc les variables qui s’y rapportent : déficit, dette publique, chômage. Un seul État, comme la France, doit être analysé un peu comme une région de l’Eurozone, sans État central, sans Trésor central. L’ensemble des trésors des États-membres constitue ce qu’est le Trésor fédéral des USA, mais chaque État, en tant qu’entité unitaire, ne dispose pas du pouvoir politique comme c’est le cas aux USA. L’analogie est à faire avec l’Eurogroupe.

Si des traités, lois ou règlements, limitent la capacité de la banque centrale à disposer de liquidités, l’État doit-il se tourner vers les marchés financiers pour acquérir des liquidités ? (ce qui est le cas en Europe et aux États-Unis) ?

Les USA et l’Eurozone ne sont pas comparables sur le plan du mécanisme politique. En effet, aux USA, aucun agent extérieur ne peut imposer à l’État fédéral de faire défaut dans sa devise. L’État fédéral n’a jamais de contrainte financière. Les États-membres de l’Eurozone par contre peuvent être mis en défaut. Ils peuvent être soumis aux humeurs du marché, si la BCE, avec l’approbation de l’Eurogroupe, décide de laisser le marché déterminer le taux d’intérêt. On peut considérer qu’en Eurozone, cela peut fonctionner comme si les États avaient besoin des marchés financiers pour acquérir des liquidités, mais en raison d’un choix politique. Ce qui s’est passé pendant la période Covid est éclairant. L’Eurogroupe a changé d’avis, levant la contrainte du déficit public, ce qui a entraîné un aplatissement des spreads. Sur la base de cette décision purement politique, les États ont ainsi pu dépenser d’une façon beaucoup plus importante. Cette dépendance aux marchés financiers est donc un choix politique. Elle ne correspond pas à une nécessité technique.

Donc oui, en Eurozone, comme aux USA, ne serait-ce que pour faire face à la nécessité de maintenir positif le solde du compte du Trésor à la BCE ou à la Fed, l’État doit emprunter. C’est également le cas, en l’absence de rémunération des réserves excédentaires, pour soutenir le taux d’intérêt cible de la BC. Mais il ne s’agit pas des conséquences des caractéristiques fonctionnelles intrinsèques du système, mais de contraintes politiques auto-imposées.

Quand l’État rembourse un titre de dette, soit à la banque centrale soit à une banque privée, la créance disparaît-elle ainsi que les liquidités qui ont été créées ou transférées lors de l’emprunt ? 

Cette analogie entre titres d’État et crédit bancaire, par certains aspects, est fondée. Dans les 2 cas, la banque commerciale achète un actif financier – un prêt ou un titre du Trésor – et les fonds vont à une autre banque, la Fed et une autre banque commerciale. Et dans les deux cas, la banque qui achète l’actif financier voit son compte de réserve débité par la Fed et doit agir en conséquence. Cependant, quand le Trésor vend un titre, MMT analyse ce titre comme un crédit de taxe. Et il y a alors seulement un changement de forme de ce crédit de taxe, qui passe de réserves à titres. Par contre, quand une banque accorde un prêt, celui-ci ne peut pas être considéré comme un crédit de taxe. Certes, le dépôt ainsi créé est un nouveau crédit de taxe, mais en échange de quelque chose qui ne peut pas être considéré comme un crédit de taxe.

Si on analyse le titre d’État comme de la monnaie, on peut dire que, lorsqu’il est émis, il y a une « création monétaire », de même qu’il y a création monétaire lorsque le prêt est réalisé. Mais dans le cas du titre d’État, la monnaie créée est échangée avec de la monnaie qui existe déjà, alors que, s’agissant du prêt, la monnaie est échangée avec quelque chose que nous ne considérons pas comme un crédit de taxe, donc comme de la monnaie. Ainsi, également oui, lorsque le titre est « remboursé », si nous considérons qu’il est lui-même de la monnaie, nous pouvons dire qu’il y a « destruction monétaire », puisqu’il disparaît, mais il ne s’agit en fait que d’un changement de la forme de la monnaie existante, qui passe de titres à réserves. Ainsi, si certes la monnaie bancaire est détruite par le remboursement du prêt, le « remboursement » des titres d’État, qui met fin à la créance, ne réduit pas la quantité de monnaie. Il ne fait que changer la forme de la devise. Certes, ce changement de forme correspond pour l’État emprunteur à une diminution de ses liquidités, mais, s’il y a bien destruction du titre, le prêteur continue à détenir un crédit de taxe. Et, lorsque le titre d’État est « remboursé », le prêteur récupère son argent. La devise détenue par le secteur privé ne diminue pas. En réalité, la quantité de devise détenue par le secteur privé ne diminue que lorsque l’État est en excédent.

Donc, en synthèse, pour répondre à votre question, lorsqu’un titre d’État est « remboursé », oui, la créance disparaît, et oui, d’une certaine manière on peut dire qu’il y a « destruction monétaire », mais il n’y a pas diminution de la quantité de devise en circulation au sein du secteur privé.

Si l’on voulait que la MMT corresponde à une réalité dans le monde réel, faudrait-il que la banque centrale consente à l’État toutes les demandes de liquidités que celui-ci formulerait ? 

La banque centrale est une entité étatique. Dans le cas de l’Eurozone le problème c’est que la BCE ne rend pas de compte au Parlement. Mais elle est tout de même étatique, dans le sens où, par exemple quand sa présidente Christine Lagarde a déclaré qu’elle n’allait pas soutenir les États, que ce n’était pas son objectif de fournir un support aux États dans la situation du Covid-19, deux jours après, elle a dû faire marche arrière, car l’Eurogroupe avait décidé de lever les limites de 3% du déficit. Et les spreads ont disparu pendant tout le temps que l’Eurogroupe en a décidé ainsi. La BCE est donc autonome, mais seulement jusqu’au point où l’Eurogroupe la laisse autonome. Elle est une entité étatique.

MMT décrit les opérations du système monétaire telles qu’elles sont, fonctionnellement. En présence de restrictions politiques à la politique fiscale, les opérations en tant que telles ne changent pas. Pour obtenir le plein emploi, il faudrait adopter des politiques fiscales qui n’étaient pas « légales » avant le covid, qui le sont encore aujourd’hui, mais qui ne vont pas le demeurer longtemps. Mais il ne s’agit pas du dysfonctionnement du système. Il s’agit d’un problème politique. Ce système fonctionne comme si une voiture très performante était conduite sans utiliser toutes ses vitesses.

Donc, pour que la façon dont MMT décrit le système monétaire soit totalement effective, il faudrait lever toutes ces contraintes auto-imposées, ce qui, entre autres, mettrait fin en grande partie à ce besoin de liquidités tel qu’il est évoqué dans la question.

La MMT préconise-t-elle la libre circulation ou bien le contrôle des capitaux ?

La lecture des mouvements de capitaux sous un régime de taux de change flottant n’est pas la même que sous un régime de taux de change fixe. En change flottant, lorsqu’un agent du secteur privé achète des devises étrangères, l’opération se traduit pas des écritures comptables qui ont certes pour effet de changer le nom du possesseur des devises concernées, mais en aucune façon la position des devises elles-mêmes, qui en tant que devises nationales ne bougent pas. Par exemple, dans le cas de l’achat de francs suisses avec des euros, ces deux devises demeurent dans les comptes du système bancaire dont ils dépendent. Une devise ne peut pas quitter son propre système bancaire. Le seul élément qui change lors d’une transaction est le nom de son possesseur. Ce que nous appelons les euros, ou les francs suisses, ou bien tout autre devise, ne sont que des écritures dans le système bancaire d’un pays de la zone euro et de la Suisse. En régime de taux de change flottant, il n’y a donc pas de « fuite de capitaux ».

Par contre, en taux de change fixe, dans le cas où une devise est ancrée à une autre devise, lorsque le secteur privé vend sa devise A pour acheter une devise étrangère B, la banque centrale du pays A dans le but de compenser cette opération, doit vendre de la devise B et acheter de la devise A au taux d’échange fixé, afin de maintenir le taux de change au prix fixé. Contrairement au change flottant, en change fixe, il y a donc un mouvement de l’étalon, en l’occurrence la devise B à laquelle la devise A est ancrée. Et on peut alors parler de « fuite de capitaux ».

Comment asseoir la fiscalité derrière si les gens très fortunés décident de délocaliser leurs actifs à l’étranger ? Que dit la MMT sur l’évasion fiscale ? »

Lorsque l’on parle d’actifs, il convient de parler non seulement des actifs financiers, mais également des actifs réels. Certes, il est possible d’aller chercher à l’étranger des conditions fiscales plus intéressantes sur des actifs réels faciles à déplacer, une automobile par exemple, mais, en régime de taux de change flottant, la délocalisation des actifs financiers n’est qu’une illusion, car elle n’est pas possible.

Pour MMT, la fiscalité devrait être centrée sur les biens réels qui occupent l’espace, se trouvant sur le territoire, difficiles voire impossibles à déplacer, qui sont donc par nature visibles et faciles à enregistrer dans un cadastre et à contrôler. Il est en effet important que le fait d’échapper à la fiscalité soit le plus difficile possible.

S’agissant de l’évasion fiscale, il convient de rappeler que, pour MMT, l’impôt sert à créer une demande de devise domestique, et donc à agir sur l’activité économique. L’impôt est le moteur du système. Dans ces conditions, MMT n’analyse pas l’évasion fiscale comme une diminution de la capacité de financement des dépenses publiques, mais comme une diminution de la demande de devise de la part du secteur privé, donc une diminution de la demande d’actifs réels de la part de l’État, même si certes cela se produit dans une moindre mesure en situation de sous-emploi, situation dans laquelle l’État n’utilise que partiellement sa capacité de dépenser. On peut donc considérer que, en ces termes, l’évasion fiscale devient un problème surtout lorsque l’on parvient au plein emploi, situation dans laquelle, si l’État veut acheter davantage en termes réels, donc dépenser davantage, il doit y avoir davantage de demande de sa devise de la part du secteur privé.

La MMT est elle plutôt favorable au libre échange ou au protectionnisme ?

Il convient d’abord de préciser que cette question mène à des considérations de politique industrielle, alors que la MMT est une approche qui relève de l’économie monétaire. MMT dit que le plein emploi est possible a priori des rapports industriels et commerciaux qu’un pays peut avoir avec l’étranger. En effet, l’emploi dépend de la gestion de la devise, et le commerce international n’est pas nécessaire pour l’obtenir, même si cela peut être efficace en termes de division internationale du travail.

Cette précision apportée, la question du libre échange se pose différemment selon le niveau de développement du pays. Un pays peu développé peut souffrir du libre échange dans le sens où cela peut le mener à une dépendance technologique. Plus un pays est développé, plus il a tendance à se permettre le libre échange, sans effets négatifs importants. Moins le pays est développé, plus le libre échange le pousse à devenir un pays périphérique où vont se concentrer les productions à faible valeur ajoutée nécessitant moins de technologie et de savoir-faire et portant plus difficilement à une accumulation de savoir-faire technologique. Mis en concurrence sur certaines productions avec des pays plus développés, ces pays vont reculer en termes de productivité, leurs entreprises pouvant difficilement supporter la concurrence.