Présentation de la Monnaie Moderne – MMT

par

Robert Cauneau – MMT France

16 février 2019

MMT (Modern Monetary Theory) est une approche monétaire qui puise son origine dans le chartalisme. Celui-ci, du latin charta signifiant « papier, écrit » est une formalisation théorique permettant d’expliquer le fonctionnement d’une économie moderne. Dans le Chartalisme, la monnaie est principalement considérée comme un bon, un avoir, un coupon pour des taxes à payer. La monnaie ainsi créée est appelée monnaie souveraine ou devise nationale. Sa valeur découle des taxes dont elle permet de s’acquitter, puis du désir qu’ont les individus d’en épargner pour se les échanger avant même de payer ces taxes. L’État émet la devise nationale en dépensant, et la détruit en émettant les impôts : la fiscalité sert alors à revendiquer la devise nationale, donc à produire des biens et des services, et à en contrôler la masse totale en circulation.  MMT est le fruit de l’approfondissement et du renouveau important que le chartalisme a connu dans les années 1990.

Il est rappelé que “néochartalisme” et “MMT” recouvrent le même concept. Le premier est utilisé dans l’univers francophone, le second dans l’univers anglophone. L’appellation “MMT” a toutefois été retenue pour désigner “MMT France”, dans un but d’harmonisation avec les mouvements déjà existant en Italie (Rete MMT Italia) et en Espagne (Red MMT).

Un peu d’histoire

Le Chartalisme

La théorie originale du chartalisme fut développée par l’économiste Georg Fridrich Knapp au début du XXème siècle avec d’importantes contributions de la part du juriste Alfred Mitchell-Innes. En 1930, elle a influencé le Traité sur la monnaie de John Maynard Keynes. Pour insister sur le fait que cette monnaie résulte d’actes souverains, cette monnaie fiduciaire est souvent nommée monnaie souveraine ou devise nationale. Knapp donne sa définition et l’appelle monnaie valuta : c’est le moyen de paiement définitif, c’est-à-dire n’impliquant aucun paiement ultérieur, au contraire des monnaies de crédit.

Certains partisans de MMT soutiennent que des déclarations générales semblant appuyer une conception chartaliste de la monnaie de papier axée sur les impôts apparaissent dans les écrits antérieurs de nombreux économistes classiques, notamment Adam Smith , Jean-Baptiste Say , JS Mill , Karl Marx et William Stanley Jevons.

La portée empirique de cette théorie est très particulière : elle est universelle car il est impossible de ne pas décider en premier d’émettre cet artefact humain qu’est la monnaie, pour qu’ensuite on puisse ne dépenser que ce qu’on a acquis ; mais elle est presque aussi universellement méconnue au point que, le plus souvent, le souverain s’encombre de contraintes artificielles, comme la convertibilité en or à taux fixe, ou bien l’emprunte au préalable.

Le néochartalisme (MMT)

MMT synthétise les idées tirées du chartalisme, et prend en compte les propositions de la finance fonctionnelle d’Abba Lerner, la vision de Hyman Minsky sur le système bancaire et l’approche par l’équilibre des secteurs de Wynne Godley.

Divers auteurs sont parvenus à leur tour jusqu’aux découvertes de Knapp, avec un grand enthousiasme. Le premier, Warren Mosler, trader américain, le fit grâce à son expérience de financier et l’appela soft currency economics (science économique de la devise nationale douce, littéralement). Le professeur australien, William Francis «Bill » Mitchell le fit en recherchant les conditions du plein emploi, et l’appela Modern Monetary Theory (Théorie Monétaire Moderne, ou MMT). L. Randall Wray le fit en redécouvrant les travaux de Knapp, via Keynes, et l’appela Neochartalism mais reprit plus tard à son compte le terme Modern Monetary Theory, en accord les autres professeurs américains qui l’avaient rejoint.

Certains partisans contemporains, tels que Wray, situent le néochartalisme dans l’économie postkeynésienne, le chartalisme ayant été proposé comme une théorie alternative ou complémentaire à la théorie du circuit monétaire, et les deux étant des formes de monnaie endogène, c’est-à-dire de la monnaie créée au sein de l’économie, comme par les dépenses publiques (déficit) ou les prêts bancaires, plutôt que de l’extérieur, comme par l’or. Le néochartalisme intègre des interactions qu’il qualifie de « verticales » (secteur gouvernemental -secteur non gouvernemental et vice versa), ainsi que des interactions « horizontales » ( secteur non gouvernemental – secteur non gouvernemental ) tandis que la théorie du circuit utilise un modèle qui ne prend en compte que les interactions “horizontales”.

Fonctionnement

Transactions verticales

Les transactions verticales sont toutes les transactions impliquant l’État, c’est-à-dire principalement le Trésor, et éventuellement la Banque Centrale. Peu importe ici que l’autre partie soit nationale ou étrangère, ce qui compte c’est que l’un soit émetteur de la devise nationale, alors que l’autre n’en est que l’utilisateur. De manière inhérente à la construction comptable, la dépense nette de l’État ajoute son montant à la trésorerie de l’utilisateur de la devise nationale, et, inversement, la recette nette de l’État ôte son montant à la trésorerie de l’utilisateur de la devise nationale ; le déficit public est enregistré comme actif net supplémentaire pour les autres secteurs, et, à l’inverse, le surplus budgétaire de l’État est enregistré comme diminution des actifs nets des autres secteurs.

Aussi, par définition, le revenu net de l’État, celui du secteur privé et celui de l’étranger s’annulent : (T – G) + (S – I) – BC = 0, avec T les recettes de l’État, G ses dépenses, S l’épargne privée, I l’investissement privé, et BC la balance courante donnant le revenu net dégagé par l’économie nationale sur l’étranger. C’est une équation comptable, et non une équation de modélisation économique, qui est universellement vérifiée. On peut la lire ainsi : (S – I) = (G – T) + BC, c’est-à-dire que l’épargne privée nette est égale à la somme du déficit public et de la balance courante, donc que le secteur privé ne peut épargner que si l’État s’autorise un déficit ou si l’étranger est lui-même en déficit.

Cette constatation va à l’encontre de l’opinion dominante affirmant que l’État doit rembourser tôt ou tard la dette correspondant à ses déficits budgétaires. Il faut un déficit pour monétariser une économie, un déficit pour financer la croissance, et encore un déficit pour financer l’épargne du secteur privé lorsqu’il souhaite rembourser ses dettes avant de croître à nouveau. Il se peut qu’il soit souhaitable, pour un néochartaliste, que le budget public fasse un surplus (l’inverse d’un déficit), mais en pratique, ce sera éphémère, de faible volume, et en aucun cas la somme de tous les surplus budgétaires n’égalisera la somme de tous les déficits précédents.

Transactions horizontales

Les partisans de MMT décrivent toutes les transactions effectuées dans le secteur privé comme des transactions « horizontales », y compris l’expansion de la masse monétaire au sens large par le biais de l’octroi de crédits par les banques.

Ils considèrent que le concept de multiplicateur monétaire, selon lequel une banque est totalement contrainte de prêter via les dépôts qu’elle détient et son capital requis, est trompeur. Plutôt que de limiter concrètement les prêts, le coût des emprunts sur le marché interbancaire (ou la banque centrale) représente un facteur de rentabilité lorsque la banque privée prête au-delà de ses exigences de fonds propres et / ou de fonds propres.

Selon la MMT, le crédit bancaire doit être considéré comme un « levier » de la base monétaire et non comme une augmentation des actifs financiers nets détenus par une économie : seul le gouvernement ou la banque centrale sont en mesure d’émettre de la “monnaie forte”, de la devise nationale, sans aucun passif correspondant. Stephanie Kelton, une économiste qui participe activement à sa promotion, fait valoir que la monnaie de banque est généralement acceptée pour le règlement de la dette et des impôts en raison de garanties de l’État, mais que cette monnaie de “grande puissance” émise par l’État se situe au sommet d’une « hiérarchie de la monnaie ».

Les implications en termes de politiques économiques

La MMT affirme que le mot «emprunter» est impropre dans les opérations fiscales d’un gouvernement souverain, car ce dernier accepte en retour ses propres lettres de reconnaissance et que le fait que l’État emprunte ses propres titres de créance n’a pas de sens. Les gouvernements souverains s’endettent en émettant leurs propres engagements qui constituent une richesse financière pour le secteur privé. La dette privée est une dette, mais la dette publique est une richesse financière pour le secteur privé.

Selon cette théorie, la capacité de dépenser d’un gouvernement souverain n’est pas limitée financièrement ; il est soutenu que le gouvernement peut se permettre d’acheter tout ce qui est à vendre dans la devise nationale qu’il émet. Il peut y avoir des contraintes politiques, telles qu’une loi sur le plafonnement de la dette, mais la seule “vraie” contrainte est représentée par le fait que les dépenses excessives de n’importe quel secteur de l’économie, qu’il s’agisse des ménages, des entreprises ou du secteur gouvernemental, risquent de provoquer des pressions inflationnistes.

La MMT recommande un budget de l’État fortement contra-cyclique, une devise nationale dont l’État dispose du monopole d’émission, la taxation en cette seule devise nationale, et l’absence totale de plans d’austérité, sauf en période de surchauffe.

Les économistes MMT préconisent un système de Garantie d’Emploi, également dénommé « l’État employeur en dernier ressort », dans le but d’éliminer le chômage involontaire. Cette politique est fondamentalement compatible avec la stabilité des prix, car elle cible directement le chômage, plutôt que d’essayer d’accroître indirectement la création d’emplois dans le secteur privé par le biais d’un stimulus économique beaucoup plus important. De plus, elle maintient un « stock tampon » de main-d’œuvre pouvant facilement passer au secteur non-gouvernemental lorsque les emplois deviennent disponibles. Un programme de garantie de l’emploi peut donc être considéré comme un puissant stabilisateur automatique de l’économie, s’étendant lorsque l’activité du secteur non gouvernemental se refroidit et diminuant lorsque l’activité de ce même secteur se renforce, tout en garantissant la stabilité des prix.

Il est intéressant de noter que le projet “Territoires Zéro Chômeurs de Longue Durée”, certes basé sur un autre modèle économique, mais qui intéresse aujourd’hui sur le territoire français environ 2.000 chômeurs, représente un premier pas important vers la mise en place de ce type de politique économique ayant pour objectif le plein emploi.

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Cet article comporte de larges extraits des pages Wikipedia suivantes :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Chartalisme

https://en.wikipedia.org/wiki/Modern_Monetary_Theory


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