par
Pavlina R. Tcherneva
Levy Economics Institute of Bard College
Working Paper N° 732
Septembre 2012
TRADUCTION PAR
Robert Cauneau – MMT France
RÉSUMÉ
Au cours des quinze dernières années, la capacité de la proposition de l’employeur de dernier ressort (EDR) à assurer le plein emploi et la stabilité des prix a été longuement discutée dans la littérature. Une autre question a attiré relativement peu d’attention, à savoir la crainte, que même lorsque l’EDR produit ces avantages macroéconomiques, il le fait en offrant des emplois «peu rémunérés», «sans issue», dévalorisant davantage les chômeurs. Dans ce contexte, l’importante caractéristique de stock-tampon de l’EDR est mal comprise en tant que mécanisme qui donne la priorité à la stabilité macroéconomique par rapport aux avantages du programme pour les chômeurs.
Ce document fait valoir que les deux objectifs ne s’excluent pas mutuellement, en revenant sur l’expérience de l’Argentine avec le Plan Jefes et la réforme qui l’a suivi. Le Plan Jefes est le seul programme de création d’emplois directs au monde spécifiquement conçu sur le modèle de la proposition moderne de l’EDR développée aux États-Unis. En ce qui concerne la stabilité macroéconomique, le document examine comment ce plan présente certaines des principales caractéristiques de stabilisation de l’EDR qui ont été postulées dans la littérature, même si elles n’étaient pas conçues comme une garantie d’emploi inconditionnelle. Le Plan Jefes a également montré que les programmes d’emplois publics peuvent avoir un impact transformateur sur les problèmes socio-économiques persistants tels que la pauvreté et les disparités entre les sexes. Les femmes – de loin le groupe le plus important de bénéficiaires du programme – relatent les principaux avantages pour leur communauté, leur famille, leurs enfants et (surtout) pour elles-mêmes, provenant de leur propre participation à Jefes.
L’expérience de l’Argentine montre que les programmes de création directe d’emplois offrant un emploi au salaire de base peuvent avoir la capacité unique de responsabiliser et de discréditer les structures existantes qui produisent et reproduisent la pauvreté et les disparités entre les sexes. Étant donné que ces deux derniers problèmes sont multidimensionnels, l’EDR ne peut pas être traité comme une panacée, mais plutôt comme un outil politique important permettant de remédier à certaines des causes les plus enracinées et les plus résilientes de la pauvreté et des inégalités entre les sexes. Le document examine les éléments probants d’enquête basés sur les récits des participantes à Jefes afin d’évaluer ces aspects potentiellement transformateurs de la proposition d’EDR.
Au moment où le problème du chômage semble particulièrement insoluble, il est utile de réexaminer la seule proposition de politique qui promet de l’éliminer complètement, à savoir l’employeur de dernier recours (EDR). Le présent document examine le seul programme réel de création directe d’emplois qui s’inspire spécifiquement de la proposition moderne d’EDR élaborée aux États-Unis (Kostzer, 2008). Il s’agit du Plan Jefes y Jefas de Hogares d’Argnetina (Jefes ou Plan Jefes
ci-après), qui a été lancé après l’effondrement financier de 2001 pour faire face à ses retombées économiques dévastatrices. Le Plan Jefes offrait une possibilité d’emploi basé sur le volontariat aux chefs de famille sans emploi dans le cadre d’un projet communautaire, financé par le gouvernement fédéral, mais administré localement. La conception du programme n’était pas entièrement conforme à la proposition de l’EDR, mais présentait néanmoins des caractéristiques institutionnelles importantes qui seront examinées ici. La première tâche consiste à évaluer si le Plan Jefes a produit les effets de stabilisation macroéconomique que les partisans du programme EDR lui attribuent. La deuxième est d’évaluer comment les programmes d’EDR peuvent être conçus pour faire plus que seulement s’attaquer aux problèmes de l’instabilité économique et du chômage. Bien qu’il n’ait pas été conçu dans cet objectif, le Plan Jefes a montré que les programmes publics d’emploi peuvent avoir un impact transformateur sur des problèmes socioéconomiques persistants tels que la pauvreté et les disparités entre les sexes. Étant donné que ces deux derniers problèmes sont multidimensionnels, l’EDR ne peut pas être considéré comme une panacée, mais plutôt comme un outil politique important qui remédie à certaines des causes les plus profondes et les plus résilientes de la pauvreté et des inégalités entre les sexes.
I. QU’EST-CE QUE LE PROGRAMME EMPLOYEUR DE DERNIER RECOURS ?
L’employeur de dernier recours (EDR) est une proposition de programme financé par le gouvernement fédéral dans le cadre duquel le gouvernement emploie tous les chômeurs qui sont prêts, disposés et capables de travailler dans un projet du secteur public à un salaire de base. La proposition découle de la conception post-keynésienne selon laquelle le chômage est un phénomène monétaire et que les économies capitalistes à but lucratif ne parviennent toujours pas à produire et à maintenir les conditions qui se rapprochent du véritable plein emploi. Keynes lui-même avait soutenu que les gouvernements doivent faire tout ce qui est humainement possible pour produire » une réduction du nombre de chômeurs aux niveaux que nous connaissons en temps de guerre… c’est-à-dire un taux de chômage inférieur à 1 pour cent » (Keynes 1980 : 303). Cette définition étroite du plein emploi est au cœur de la proposition d’EDR. Les appels lancés pour que le gouvernement devienne l’employeur de dernier recours étaient populaires dès les années 1930 (Kaboub 2007), mais l’étude contemporaine a formalisé la proposition telle que nous la présentons ci-dessous.
1. L’EDR offre une demande infiniment élastique pour le travail
L’EDR n’est pas une solution de dépression. Il y a des personnes qui cherchent du travail même en période d’expansion, et ce programme permanent et volontaire recrute des chômeurs quelle que soit la phase du cycle économique (Tcherneva 2012). Étant donné que le gouvernement fédéral est la seule institution qui peut dissocier la rentabilité de l’embauche de la décision d’embaucher, le programme éliminerait le chômage en prenant les travailleurs «en l’état», indépendamment de leur expérience professionnelle, de leur race, de leur âge ou de leur sexe (Minsky, 1986, Wray 1998).
2. L’EDR embauche par le bas
Le chômage est éliminé par la création directe d’emplois et non par «l’amorçage à la pompe» ou par l’augmentation de la demande globale. C’est une approche politique ascendante qui offre un filet de sécurité pour l’emploi aux personnes qui ont tendance à être embauchées en dernier lieu et licenciées en premier du secteur privé – généralement les moins qualifiés et les moins instruits (Tcherneva 2012). En revanche, les politiques de demande globale favorisant la croissance, favorables à l’investissement, augmentent toujours d’abord la demande des travailleurs hautement qualifiés, hautement scolarisés et hautement rémunérés (Tcherneva 2011a). Une fois que l’économie commence à se redresser, la demande commence à se répercuter sur les autres travailleurs, mais jamais assez pour atteindre tous ceux qui souhaitent travailler. Plutôt que de viser un certain niveau d’investissement ou de croissance de la production (susceptible de produire ou non le plein emploi), le programme d’EDR se situe au cœur du problème et élimine l’écart de la demande de travail en garantissant un emploi au salaire de base (Ibid).
3. L’EDR fonctionne comme un stock-tampon
La principale caractéristique de la stabilisation contracyclique est son mécanisme de stock-tampon, dans lequel le programme EDR est le stock régulateur qui fluctue avec le cycle (Mitchell 1998). En période de récession, les travailleurs licenciés du secteur privé trouvent des emplois dans le programme EDR, ce qui accroît les dépenses publiques de manière anticyclique. Une fois que l’économie se redresse, ils sont embauchés hors du secteur public pour occuper des emplois mieux rémunérés dans le secteur privé, ce qui réduit les dépenses publiques.
4. L’EDR stabilise les salaires et les prix
Comme pour tout programme de stock-tampon, l’EDR stabilise le prix du stock régulateur – dans ce cas, les salaires se situent au bas de l’échelle (Mosler 1997-98, Mitchell 1998). Un employé d’EDR sera engagé par un employeur privé avec un salaire supérieur au salaire de l’EDR et, de ce fait, le salaire de l’EDR devient le salaire minimum effectif. Bien qu’il ne devrait pas concurrencer les salaires dans le secteur privé, certains soutiennent qu’il devrait être fixé au niveau du salaire de subsistance qui établit une norme minimale d’indemnisation salariale pour l’économie (Tcherneva 2006). Dans la mesure où les salaires représentent un coût pour chaque produit de production et reproductible de l’économie et que le programme EDR les stabilise à la base, le programme contribuerait également à stabiliser les prix (Forstater 1999a). Les autres caractéristiques de stabilisation des prix comprennent le mécanisme anticyclique qui atténue les pressions inflationnistes et déflationnistes sur l’ensemble de l’économie, ainsi que les effets du programme sur l’offre. Contrairement aux programmes de soutien du revenu, l’EDR augmente directement à la fois la demande de travailleurs et l’offre de biens et services. Cette offre peut être utilisée pour répondre aux besoins mêmes des chômeurs et des pauvres auparavant, absorbant ainsi une partie du salaire de l’EDR.
5. Les dépenses de l’edr sont toujours au niveau approprié
Avec des politiques favorables à la croissance et à l’investissement, les économistes ne savent jamais exactement combien de stimulants sont nécessaires pour produire un véritable plein emploi. La production d’une demande effective compatible avec le plein emploi est particulièrement difficile avec de telles politiques car les déterminants de la demande effective (investissement, épargne et allocation de portefeuille) sont très subjectifs et ne sont pas sous le contrôle direct des décideurs (Tcherneva 2011b). Cependant, avec l’EDR, les dépenses gouvernementales ne seront ni plus ni moins que ce qui est nécessaire pour embaucher tous ceux qui souhaitent travailler (Wray et Mitchell 2005).
6. L’EDR fonctionne avec des marchés du travail souples
Le programme doit être suffisamment souple pour absorber les nouveaux venus dans le bassin de l’EDR, mais aussi pour les laisser partir lorsqu’ils trouvent un emploi dans le secteur privé, sans perturbation majeure des projets du secteur public (Forstater 1999a). Une conception minutieuse du programme produira une base de données de ces tâches qui pourra être facilement mise de côté lorsqu’il y aura peu de demande pour le travail de l’EDR. Mais elle permettra également un certain niveau d’expérimentation en cas d’afflux inattendu de travailleurs dans le bassin de l’EDR. Selon Keynes, la stabilité macroéconomique et le plein emploi seraient atteints si les chômeurs étaient recrutés directement dans le cadre d’un programme à long terme de socialisation de l’investissement, dans le cadre duquel une part considérable des investissements seraient effectués sous les auspices du secteur public ou semi-public (Keynes[1936] 1964). Cela signifie qu’à tout moment, le bassin de travailleurs du secteur public serait assez important. Mais si le chômage se développait de manière inattendue, l’État jouerait le rôle d' »entrepreneur en chef » pour fournir suffisamment de possibilités d’emploi (Keynes 1981, 324). Toutefois, en l’absence d’une socialisation importante de l’investissement, le programme de l’EDR aurait essentiellement la même fonction de stabilisation macroéconomique et de plein emploi par l’embauche directe dans des projets socialement utiles. Ainsi, certains ont comparé le programme de l’EDR à un régime d’emploi de service public universel (Harvey 2000)
7. L’EDR est financièrement viable à long terme dans les nations monetairement souveraines.
Les propositions d’EDR sont normalement liées à la littérature post-keynésienne moderne sur la monnaie et la finance fonctionnelle, qui soutient que les pays dont les monnaies non convertibles flottent librement ne rencontrent aucun problème de solvabilité ou de contraintes techniques pour financer ces programmes à perpétuité (Mosler 1997-98, Wray 1998). De plus, l’EDR lui-même peut servir de référence pour la valeur de ces devises fiat (Tcherneva 2006). La valeur des devises est déterminée de façon très complexe, mais elle reflète essentiellement ce que l’on peut acheter avec la devise. Les partisans soutiennent que le salaire horaire de l’EDR fixe un taux de conversion de base entre le travail et la devise nationale. En d’autres termes, un salaire horaire de 10 $ l’heure, par exemple, ancre la monnaie dans la force de travail et fixe la valeur du dollar à six minutes de travail. Si le salaire était doublé, alors à titre de référence (rappel : l’EDR stabilise tous les salaires au bas de l’échelle), un dollar sera échangé contre trois minutes de travail ou s’érodera de moitié. Ainsi, lorsque l’émetteur de la monnaie (le gouvernement) fixe le taux de change entre la devise et la main-d’œuvre dans le pool de stock-tampon anticyclique, il aide à stabiliser la valeur de sa devise. Les monnaies non convertibles librement flottantes n’ont aujourd’hui pas d’ancres équivalentes. Enfin, les tenants de l’EDR soutiennent qu’en l’absence d’un problème de solvabilité, les effets de la politique gouvernementale doivent être évalués selon les principes de la finance fonctionnelle, c’est-à-dire selon les effets réels du programme sur l’économie et non selon ses coûts financiers. (Forstater 1999b).
8. L’EDR Maintient et améliore le capital humain
Contrairement aux transferts monétaires, ce filet de sécurité de l’emploi ne gaspille pas le potentiel humain en maintenant les chômeurs et les membres pauvres de la société dans l’oisiveté et la misère. Au lieu de cela, il mobilise leur main-d’œuvre pour le bien public. Même les personnes les plus pauvres et les moins instruites ont quelque chose à apporter à leur communauté. L’objectif de l’EDR est de leur trouver un travail décent qui leur offre à la fois une formation en cours d’emploi et d’autres possibilités d’éducation qui les préparent au travail post-EDR.
9. Les travailleurs de l’EDR accomplissent un travail socialement utile
L’EDR fournit des biens et services publics que le secteur privé ne fournit généralement pas. Il n’existe de pénurie de besoins exigeant une attention particulière dans aucune communauté, qu’elle soit pauvre ou disposant de moyens relatifs. Le travail des décideurs consiste à évaluer soigneusement ces besoins et les ressources disponibles pour y répondre d’une manière adéquate, ainsi qu’à améliorer les projets en cours et à en mettre en œuvre d’autres qui pourraient être jugés plus utiles.
10. L’EDR présente des caractéristiques préventives clés à long terme
Keynes a reconnu très tôt que c’est une chose de maintenir le plein emploi à long terme par le biais de programmes d’emploi privés et publics, et une toute autre chose que d’éliminer le chômage une fois qu’il s’est développé en l’absence de tels programmes (Keynes 1980 : 316). Dans ce dernier cas, la réponse politique est toujours trop faible et toujours trop tardive et, en l’absence d’un plan pour l’emploi direct, le chômage s’accélère toujours beaucoup trop rapidement. En outre, une intervention politique beaucoup plus importante est nécessaire pour produire une croissance de l’emploi grâce à des politiques d’amorçage des pompes, qui ne recueillent jamais un soutien suffisant pour générer quoi que ce soit qui se rapproche du plein emploi réel.
11. L’EDR est un véhicule institutionnel pour atteindre d’autres objectifs socio-économiques
L’EDR peut être utilisé comme un outil stratégique pour s’attaquer à des problèmes socio-économiques urgents, au-delà du chômage. La recherche sur la création directe d’emplois a permis d’identifier certains effets transformationnels potentiels de ces programmes sur les femmes pauvres et les communautés démunies, qui seront examinés plus loin (Tcherneva 2005 ; Tcherneva et Wray 2005a,b,c,d). D’autres chercheurs ont préconisé que l’EDR prenne la forme d’un Green New Deal ou d’un Green Jobs Corps qui lance un effort massif de renouvellement environnemental et d’investissement public dans les technologies vertes. (Forstater 2004).
II. QU’EST-CE QUE LE PLAN JEFES ÉTAIT, ET DANS QUELLE MESURE ÉTAIT-IL CONFORME AU MODÈLE EDR ?
L’Argentine était autrefois considérée comme la réussite des politiques néolibérales. Pourtant, après une décennie et demie de stagnation de la croissance et de détérioration des conditions socioéconomiques, l’économie argentine a plongé en 2001 dans sa crise la plus grave de l’histoire. Le taux de chômage, qui s’était accéléré au cours des années précédant la crise financière, a atteint un sommet de 21,5 % (selon la méthode prudente de mesure du chômage) en mai 2002 (figure 1). L’aggravation des conditions de vie a incité des milliers de personnes à se joindre aux manifestations pacifiques qui ont débuté le 12 décembre 2001, appelées « cacerolazo »[1], organisées par une petite association de commerçants. Du 14 au 17 décembre 2001, le Frente Nacional Contra la Pobreza (FRENAPO), ou Front national contre la pauvreté – une large coalition de groupes de chômeurs, de travailleurs progressistes et de défenseurs des droits humains, et les petites entreprises – ont organisé une campagne nationale menée exclusivement par des bénévoles. exigeant du gouvernement qu’il mette en place un programme d’emploi pour les chômeurs.
Figure 1 Taux de chômage en Argentine

En l’espace de deux jours, les protestations ont contraint le ministre de l’économie Cavallo et le président De la Rua à quitter le pouvoir. Le premier président par intérim, Adolfo Rodríguez Saá, qui ne resta en fonction qu’une semaine, signa un important décret présidentiel établissant un programme de création d’emplois pour les chefs de familles sans emploi appelé Plan Jefes de Hogar. La proposition avait été faite par une équipe d’économistes du ministère du Travail, sur le modèle des propositions d’EDR élaborées aux États-Unis (Kostzer, 2008). Le président suivant, Eduardo Duhale, signa le décret d’urgence pour l’établissement du Plan Jefes dans la loi. Il devint le principal programme pour faire face à la dislocation sociale à la suite de l’effondrement de la caisse d’émission.
Le Plan Jefes versait 150 pesos par mois à un chef de famille pour un minimum de 4 heures de travail quotidien. Les participants travaillaient principalement dans des projets communautaires et étaient orientés vers des programmes de formation, y compris l’achèvement de l’éducation de base. Pour être admissible, la famille devait avoir des enfants de moins de 18 ans, des personnes handicapées ou une femme enceinte. Les familles étaient généralement limités à un seul participant au programme Jefes. Les dépenses totales du programme ont culminé à 1 % du PIB, avec près de 2 millions de participants. Cela équivalait à environ 5 % de la population et 13 % de la population active[2].
Plusieurs évaluations du programme effectuées par le ministère du Travail (MTEySS 2002, 2003, 2005) et la Banque mondiale (2002, 2003) ont donné des résultats extrêmement positifs. Ce qui est intéressant ici, c’est de savoir si le Plan Jefes s’est comporté de la manière que le proposent les défenseurs de l’EDR.
1. Jefes a-t-il offert une demande infiniment élastique pour le travail ?
Le Plan Jefes a été clairement mis en œuvre en tant que solution à la dépression, ce qui est la manière dont les régimes d’emploi direct sont traditionnellement utilisés. Bien qu’il n’ait pas fourni d’emploi à tous ceux qui en avaient besoin, il a néanmoins pris les travailleurs « tels qu’ils sont ». Des emplois étaient fournis aux chefs de famille (supposés être les hommes), mais dans la majorité des cas, les décisions prises au sein de la famille désignaient la femme comme chef de famille. En 2005, près des trois quarts des participants qui se sont présentés au travail étaient des femmes (figure 2). Il n’y avait pas de tests de compétences et les hommes et les femmes se voyaient offrir un emploi dans des projets communautaires, indépendamment de leur expérience passée sur le marché du travail, de leur niveau d’éducation ou de leurs compétences.
Figure 2 Bénéficiaires de Jefes par sexe

2. Est-ce que Jefes a embauché depuis le bas de l’échelle
Les données indiquent que même si le programme n’a pas fourni un accès universel à tous les chômeurs comme le programme EDR est censé le faire, il était néanmoins très bien ciblé (MTEySS 2002, 2003). La grande majorité des participants au programme provenaient du quintile inférieur de la répartition des revenus, avaient fait des études secondaires ou un niveau de scolarité inférieur et avaient connu de longues périodes de chômage ou d’emplois précaires dans l’économie informelle. Ainsi, le Plan Jefes, bien qu’il se concentre principalement sur les chefs de famille, a fini par embaucher à partir du bas de l’échelle de la répartition des revenus. La plupart des politiques conventionnelles amorcent la pompe pour générer de la croissance dans l’espoir de
réduire le chômage aux niveaux souhaités. Dans le cas de l’Argentine, le gouvernement n’a pas attendu que l’économie se redresse pour faire face au problème des chômeurs. L’embauche directe a eu lieu avant que la croissance soit revenue et le taux de chômage a chuté rapidement à mesure que l’économie se redressait. En d’autres termes, le chômage n’est pas resté un indicateur décalé et la croissance a été largement une conséquence de la stratégie en faveur de l’emploi.
3. Jefes a-t-il fonctionné comme un stock-tampon ?
La masse salariale de Jefes explosa rapidement. Le gouvernement avait estimé que seulement 500,000 personnes se présenteraient au travail, alors qu’à son apogée, Jefes embaucha 2 millions de personnes.[3] La taille du programme incita les décideurs à élaborer des plans pour le supprimer progressivement et le réformer.[4] La présence de nombreuses femmes pauvres et non qualifiées dans le programme était particulièrement troublante pour les décideurs, qui affirmaient que leur place était de retourner dans leur foyer, dans la mesure où elles étaient largement « inemployables » (Decreto 1506/2004). La réforme constitua un recul décisif pour les femmes, car les femmes pauvres, en particulier, bénéficièrent grandement de l’accès au travail communautaire rémunéré. Mais alors que Jefes était encore en activité, les effectifs diminuèrent progressivement et régulièrement, d’une manière anticyclique, dès que l’économie se redressa. C’est précisément ce que la proposition de l’EDR suggérait. Il fallut moins d’un an pour voir ces effets anticycliques. Près des trois quarts des bénéficiaires masculins occupèrent des emplois dans le secteur privé de la construction et de l’industrie manufacturière, tandis que les bénéficiaires féminins s’orientèrent vers le secteur des services. En 4,5 ans, la masse salariale de Jefes chuta de plus de 40 % par rapport à son sommet (figure 3). Ce fuun véritable exploit, si l’on considère que la plupart de ces travailleurs étaient parmi les moins instruits et les moins qualifiés du pays. Il est impossible de savoir comment le programme aurait évolué, car il a été réformé à la hâte dès que la masse salariale diminua d’une manière importante. Dans le cadre de la nouvelle réforme, les hommes restants du programme Jefes reçurent un soutien traditionnel de l’assurance-chômage et s’inscrivirent dans des programmes de formation et d’éducation destinés à les aider à s’orienter vers un emploi dans le secteur privé. En revanche, la grande majorité des femmes de Jefes furent transférées dans un programme d’aide sociale conventionnel, qui leur procura un soutien de revenu variant selon le nombre d’enfants dans la famille, mais qui n’offrait pas de possibilité d’emploi (voir plus loin).
Figure 3 Nombre de bénéficiaires de Jefes au fil des ans

4. Jefes a-t-il stabilisé les salaires et les prix ?
Bien que les prix à la consommation et à la production argentins aient soudainement augmenté avec la dévaluation du peso, ils se sont rapidement stabilisés à mesure que l’économie se rétablissait. La reprise s’est accompagnée d’une nouvelle pression sur les prix, qui a été largement associée à des flambées des prix des produits de base et à des importations plus coûteuses. La demande de Jefes elle-même, selon les fonctionnaires du ministère, n’a pas contribué à ces pressions ; en fait, il s’agissait essentiellement de hausses de prix dues à l’augmentation des coûts. Ce que Jefes a toutefois fait, c’est d’établir un plancher salarial pour les travailleurs qui sont passés du programme Jefes au secteur privé. Près de 93 % des travailleurs de Jefes embauchés dans des entreprises privées se sont vu offrir un salaire supérieur au salaire de Jefes, ce qui indique que les programmes de type EDR peuvent effectivement stabiliser le prix du stock-tampon, c’est-à-dire les salaires les plus bas (figure 4). Il faut souligner que, pour être certain de ces effets, il faudrait étudier un programme vraiment universel et à long terme. Il est toutefois important de noter que le programme Jefes a contribué à formaliser le secteur informel. Les bénéficiaires ont reçu des cartes de sécurité sociale et, une fois qu’ils sont passés à un emploi privé, ils ont été embauchés avec des contrats de travail traditionnels qui versaient des prestations obligatoires à tous les travailleurs.
Figure 4 Salaires des bénéficiaires de Jefes une fois qu’ils ont trouvé un emploi dans le secteur privé

5. Les dépenses de Jefes ont-elles toujours été au niveau approprié ?
Les dépenses dépendaient du nombre de travailleurs inscrits au programme et du matériel nécessaire une fois les projets approuvés. Elles étaient « au bon niveau » en ce sens que les dépenses n’ont pas fui vers les bénéfices du secteur privé, mais ont été entièrement absorbées par l’emploi direct. Sur un autre aspect, cependant, elles n’étaient pas « au bon niveau » parce que le programme n’a pas tenté d’embaucher tous ceux qui voulaient travailler. Ainsi, bien que les dépenses de programmes aient été très faibles (moins de 1 p. 100 du PIB) compte tenu de l’ampleur du problème du chômage, elles n’ont pas été suffisantes pour embaucher tous les chômeurs. En effet, les travailleurs qui n’étaient pas éligibles à Jefes ont souvent mené des manifestations pour exiger des emplois directs de la part du gouvernement. Cela a conduit le public à associer de plus en plus (à tort) tous les bénéficiaires de Jefes à des travailleurs « violents » et « belligérants », ce qui a érodé davantage le soutien populaire au programme.
6. Jefes a-t-il fonctionné avec des marchés du travail souples ?
Le programme a été mis en place en quelques mois seulement et a rapidement absorbé les nouveaux venus dans le pool de Jefes. Il a également été en mesure de laisser partir les travailleurs de Jefes une fois qu’ils ont trouvé un emploi dans le secteur privé, sans perturbation majeure des projets du secteur public. Comme indiqué plus haut, le gouvernement argentin s’est tourné vers les localités et les municipalités pour évaluer les besoins et les ressources de base des communautés en vue d’une mise en œuvre plus rapide du programme. Un niveau d’expérimentation existait clairement. Les chômeurs eux-mêmes ont lancé, organisé et doté en personnel des projets dans leurs collectivités. Alors que Keynes demandait à l’État d’agir en tant qu' »entrepreneur en chef » (Keynes 1981, 324), dans de nombreux cas en Argentine, ce sont les pauvres et les chômeurs eux-mêmes qui ont montré cette initiative entrepreneuriale. Ils ont mis sur pied des garderies, des refuges pour sans-abris et des centres d’attention familiale pour la prévention de la violence là où ils étaient nécessaires. Les pauvres et leurs groupes communautaires ont demandé des fonds au gouvernement pour les aider à mettre sur pied des cuisines alimentaires, une agriculture de subsistance, des initiatives d’agriculture urbaine et autres. Ils ont également organisé des efforts de recyclage de masse d’une ampleur que le secteur public lui-même n’avait pas encore atteint.
7. Jefes était-il financièrement viable à long terme ?
Une fois que l’Argentine abandonna la caisse d’émission, elle eut la liberté financière d’utiliser les ressources nationales à des fins d’intérêt public. La capacité de payer en monnaie nationale n’était plus le problème. Même si le budget lui-même était viable, le programme lui-même n’était pas coûteux et il contribua à mener vers une reprise durable, qui finalement permit au budget du gouvernement de devenir excédentaire.
8. Jefes avait-il des caractéristiques préventives clés à long terme ?
Comme nous l’avons déjà mentionné, il n’est pas possible d’évaluer comment Jefes se serait comporté en tant que programme à long terme de stabilisation économique au plein emploi. Cependant, au cours de ses 4,5 années d’existence, il est devenu évident que Jefes a apporté des avantages clés à ses participants. Bien qu’il permit de réduire précipitamment les taux d’indigence (de 25 pour cent, seulement après 5 mois
de fonctionnement du programme), la baisse du taux de pauvreté fut très faible. Cela s’explique en grande partie par le fait que le salaire de Jefes lui-même était inférieur au seuil de pauvreté. Néanmoins, la pauvreté elle-même est un problème multidimensionnel, et il semble que le programme ait néanmoins amélioré la vie des pauvres de façon assez significative (voir la section suivante).
9. Jefes a-t-il maintenu et amélioré le capital humain ?
L’un des avantages les plus importants du Plan Jefes était qu’il offrait une alternative à l’oisiveté forcée. Les enquêtes auprès des bénéficiaires indiquent que, pour les chômeurs, la possibilité de gagner un revenu n’est pas aussi importante que la possibilité de « faire quelque chose » (figure 5). Cet aspect du travail – s’engager, contribuer, participer à la communauté – est souvent négligé dans les discussions sur les problèmes du chômage. De toute évidence, la perte de revenu et l’incapacité de subvenir à ses propres besoins et à ceux des personnes à sa charge est un problème clé auquel les programmes de création directe d’emplois peuvent remédier, mais ils peuvent aussi remédier à bon nombre des effets ignobles associés à la paresse forcée.
Figure 5 Raisons pour lesquelles les bénéficiaires de Jefes sont satisfaits du programme

En outre, Jefes lui-même fournit de nombreux programmes supplémentaires qui ont développé et amélioré le capital humain d’autres façons. Ces programmes comprenaient des initiatives de vaccination des enfants, les bilans de santé, l’aide nutritionnelle, les activités extrascolaires pour réduire les taux d’abandon scolaire, ainsi que d’autres.
10. Les travailleurs de Jefes ont-ils accompli un travail social utile ?
La majorité des projets de Jefes ont réalisé un travail communautaire utile. Dans certains cas, les projets ont littéralement transformé les communautés (voir ci-dessous). Parmi les projets, mentionnons l’amélioration de la fourniture d’eau, des réseaux d’égouts et des réseaux pluviaux. Ils ont investi dans la santé et l’éducation. l’infrastructure, l’amélioration des défenses hydrauliques, les mines d’argile, les abattoirs municipaux, les abattoirs récréatifs, etc. et des zones touristiques, ainsi que bien d’autres encore. Dans de nombreux cas, les fonds de Jefes ont été utilisés comme capital d’amorçage par les chômeurs pour lancer leurs propres entreprises et micro-entreprises, dont certaines fabriquaient des jouets à partir de matières recyclables, d’autres vêtements fabriqués pour le marché intérieur ou l’exportation. D’autres ont créé des ateliers de menuiserie et de nombreux autres ateliers artisanaux (pour plus de détails, voir Tcherneva 2005). Outre les initiatives d’infrastructure à grande échelle, pas moins de 87% des projets Jefes étaient spécifiquement destinés au travail dans la communauté. (MTEySS 2002, 2003).
11. Jefes était-il un véhicule institutionnel pour atteindre d’autres objectifs socioéconomiques ?
La dernière question qu’il faut examiner plus en détail est de savoir comment exploiter le pouvoir transformateur potentiel du programme d’EDR. L’expérience argentine montre que, même si ce n’était pas prévu, le Plan Jefes a apporté des avantages importants et inattendus aux pauvres et aux femmes en particulier. C’est sur cette question que nous nous sommes ensuite penchés.
III. IMPACT DE L’EDR SUR LA PAUVRETÉ ET LES DISPARITÉS ENTRE LES SEXES : LEÇONS DE JEFES
Selon les données macroéconomiques, Jefes a été en mesure, dans un laps de temps relativement court, de présenter certaines des caractéristiques de stabilisation présentées dans la littérature. Certes, sans la possibilité d’étudier un programme ouvert à tous les chômeurs, on ne peut pas être certain qu’il fonctionnerait comme un véritable employeur de dernier recours à long terme. Ce qui manque dans les macro-données, cependant, c’est l’important récit des participants au programme. Bien que le ministère du Travail ait mené deux enquêtes auprès des participants au programme (MTEySS 2003, 2005), il manque cruellement de données sur les participants à la plupart des programmes de macro-stabilisation qui traitent directement du chômage et de la pauvreté. En effet, sans de telles données d’enquête, les avantages pour les travailleurs de Jefes et les communautés elles-mêmes resterait largement invisibles. Dans le cas de l’Argentine, nous avons au moins trois enquêtes distinctes – en plus de celles menées par le ministère du Travail (Ibid.) et la Banque mondiale (2002, 2003) – que je vais examiner ici.
Les travaux de Tcherneva (2005) et Tcherneva et Wray (2005a,b,c,d) sont basés sur des entretiens avec des participants à plusieurs projets de deux sites en Argentine, à Cuidad Oculta, qui était l’un des quartiers les plus démunis de Buenos Aires ; et Almirante Brown, l’un des plus pauvres de Buenos Aires, une municipalité de la banlieue de Buenos Aires. Le travail de Pastoret et Tepepa (2006) présente des récits de femmes pauvres issus de projets de Jefes à Lomas De Zamoras, une ville qui est limitrophe de la capitale argentine. Enfin, Garzon de la Roza (2006) a mené de nombreuses études approfondies sur le sujet. des enquêtes auprès des femmes pauvres de la ville de Morón, également située dans la zone métropolitaine du Grand Buenos Aires.
Ce que les enquêtes montrent, c’est que même si le taux officiel de pauvreté n’a pas été considérablement réduit en raison de la faible rémunération du programme de Jefes, il existe d’autres moyens concrets par lesquels le programme a amélioré la vie des pauvres. De plus, il semble que l’emploi rémunéré a servi d’institution valorisante pour les femmes. En effet, il y a lieu de croire que de tels programmes de garantie d’emploi pourraient servir de véhicules institutionnels qui permettraient de commencer à corriger certaines des causes de la disparité entre les sexes. Il est intéressant de noter que Jefes n’a pas été conçu pour offrir les avantages que les femmes rapportent dans les enquêtes ci-dessous. En fait, le programme s’appelait à l’origine Plan Jefes de Hogar (c.-à-d. le programme pour les chefs de famille masculins), et ce n’est qu’après que les femmes se soient inscrites en grand nombre qu’il a été rebaptisé en Plan Jefes y Jefas de Hogar (plan pour hommes et femmes chefs de famille). Bien que ce ne soit pas prévu, il illustra la façon dont les programmes d’emploi publics peuvent faire progresser les questions relatives aux femmes.
Compte tenu de ces avantages, il convient de garder à l’esprit que le programme Jefes a été abandonné progressivement après quelques années de fonctionnement et remplacé par deux programmes distincts. L’un d’entre eux était un programme conventionnel d’assurance-chômage pour les hommes, appelé Seguro de Capacitacion y Empleo, qui les aidait également en matière de formation et d’éducation et dans leur transition vers des emplois du secteur privé. L’autre était un programme d’aide sociale traditionnel appelé Plan Familias, qui donnait une allocation en espèces aux femmes pauvres ayant des enfants, mais sans la possibilité de travailler dans un projet communautaire en échange. Les décideurs politiques ont insisté pour réformer Jefes au motif qu’il attirait artificiellement les femmes sur le marché du travail (femmes qui étaient auparavant inactives et ne cherchaient pas de travail) et que la grande majorité de ces femmes étaient « inemployables » parce qu’elles étaient pauvres, sans instruction et avaient de nombreux enfants (Decreto 1506/2004). Ces femmes, ont fait valoir les politiciens, ne devraient pas participer à Jefes, car elles sont déjà dépassées par les responsabilités familiales et on ne peut s’attendre à ce qu’elles contribuent au projet communautaire ou en tirent profit. Les résultats de l’enquête dont il sera question plus loin montrent que ce n’est pas du tout le cas. Néanmoins, les réformes ont eu lieu et ont été considérées comme bienveillantes parce qu’elles n’exigeaient pas des femmes pauvres ayant de nombreux enfants qu’elles travaillent pour obtenir une aide en espèces – elles étaient désormais fournie sans condition. Notez que Jefes offrait la possibilité de travailler à n’importe quel chef de famille. Il n’obligeait pas les femmes pauvres à travailler. Néanmoins, dans la plupart des cas, c’est la cellule familiale qui décida de désigner les femmes comme « chef de famille » pour profiter de l’offre d’emploi.
Tcherneva et Wray (2005d) rapportent que toutes les participantes qu’ils ont interviewées dans le cadre du Plan Jefes, sans exception, voulaient travailler plutôt que de recevoir un chèque d’aide sociale d’un montant égal. Au cours de la deuxième évaluation du Plan Jefes, le Ministère du travail a également constaté que de nombreuses femmes étaient déçues d’être retournées à l’inactivité à la suite de leur passage au Plan Familias (MTEySS 2005). Une troisième enquête réalisée par Pastoret et Tepepa (2006) a révélé que les femmes qui avaient rejoint Plan Familias, mais dont les projets communautaires de Jefes n’avaient pas encore été abandonnés, ont continué à retourner au travail, même si elles étaient désormais exemptées de l’obligation de travailler et ne remplissaient plus les conditions pour participer à Jefes.
1. Rôles des hommes et des femmes et emploi public
Dans de nombreux projets du secteur public, les femmes avaient tendance à s’auto-sélectionner dans ce que l’on considère traditionnellement comme des activités professionnelles « féminines », mais dans certains cas, les femmes ont accepté des emplois « masculins » en créant leur propre atelier de menuiserie ou de fabrication de chaussures, ou en étudiant pour devenir électriciennes ou aides juridiques (Pastoret et Tepepa 2006). Si de nombreuses femmes travaillant à Jefes se définissaient encore dans le cadre des rôles traditionnels de genre, elles considèraient aussi leur travail comme une forme de « maternité sociale » (Garzón de la Roza 2006, 32). Le principal avantage qu’elles ont tiré de l’expérience de Jefes a été une profonde transformation de leur perception de leur propre valeur (comme nous l’avons dit plus haut – il s’agit là d’un élément essentiel pour renforcer les libertés fondamentales). Leur travail à Jefes était une source de fierté, ce qui les a aidées à acquérir plus de pouvoir au sein de la famille. Bien que les femmes se sentent habilitées à travailler à l’extérieur du foyer, elles n’échappent pas complètement à leur rôle de femme au sein du foyer. Souvent, leurs maris désapprouvaient leur emploi à Jefes, ce qui créait un conflit au sein du ménage. Cependant, de nombreux hommes ont fini par apprendre à « vivre avec » la réalité que leurs femmes voulaient et travaillaient à l’extérieur du foyer (Ibid., 117). Si la garantie d’emploi n’avait pas été là, les femmes n’auraient eu aucun recours pour résister à l’attitude patriarcale de leur conjoint.
La littérature sur le genre a souvent souligné que les femmes, qui consacrent une grande partie de leurs ressources aux enfants et à la famille, doivent également commencer à améliorer leurs propres résultats. Le Plan Jefes a notamment permis aux femmes de transcender le clivage entre le privé et le public et de se percevoir comme savantage que de simples parents et domestiques, dont la seule responsabilité est d’élever les enfants et d’entretenir un ménage. Les femmes ont déclaré que travailler et servir les autres était le meilleur exemple qu’elles pouvaient donner à leurs enfants et qu’elles obtenaient de cette expérience des récompenses beaucoup plus précieuses que l’aspect monétaire, qui était néanmoins très important pour elles. Les femmes avaient l’impression de se sentir « pousser des ailes » (Garzón de la Roza 2006, 87).
L’implication dans le travail communautaire a accru la solidarité et transformé les quartiers. Garzón de la Roza (2006) rapporte que les habitants ont trouvé que le quartier de Morón avait changé de façon notable pendant les cinq années d’existence de Jefes. Cela est conforme aux conclusions de Tcherneva et Wray (2005d) et de Pastoret et Tepepa (2006) sur les effets transformateurs des projets Jefes dans l’une des régions les plus pauvres de Buenos Aires : une région connue depuis de nombreuses années sous le nom de Cuidad Oculta (la Cité Cachée), et qui après 4 ans de fonctionnement, fut renommée Villa 15, car les résidents ne furent plus considérés comme hors de la portée des politiques publiques.
2. Comment l’EDR apporte des avantages à tous, mais en particulier aux pauvres
D’après l’expérience des femmes pauvres du programme Jefes, il semble plausible qu’un programme d’EDR aussi bien ciblé que Jefes soit le plus avantageux pour les personnes qui sont vraiment au bas de l’échelle socio-économique. Par exemple, Tcherneva (2005) rapporte que l’attitude des bénéficiaires à l’égard de leur expérience Jefes dépend en partie de leur niveau d’éducation et de leur expérience professionnelle antérieure. Les hommes et les femmes ayant un niveau d’éducation et de compétences plus élevé et une expérience professionnelle antérieure dans l’économie formelle ont apprécié la possibilité de s’engager dans un service communautaire, mais n’ont pas considéré Jefes comme un » vrai travail « , et furent désireux de reprendre leur emploi dans le secteur privé.
Conformément aux conclusions de Tcherneva et Wray (2005d), Garzón de la Roza (2006) rapporte que certaines des personnes les plus instruites et les plus expérimentées n’ont pas considéré Jefes comme un » vrai travail « , mais que les femmes pauvres et les moins instruites ont estimé que Jefes leur avait donné une expérience et des avantages essentiels. Néanmoins, tous les participants ont convenu que seul le travail rémunéré renforce la dignité et que le fait de recevoir un soutien traditionnel au revenu et à l’aide sociale apporte une certaine humiliation au bénéficiaire. En raison de l’importance du travail, tous les bénéficiaires de Jefes interrogés estimaient que toute aide sociale devait être » gagnée grâce au travail » (Garzón de la Roza 2006, 111).
Le Plan Jefes a pu s’attaquer non seulement à la misère matérielle, mais aussi à la misère psychique des personnes qui avaient été piégées dans l’inactivité forcée pendant trop longtemps (Ibid.). Des bénéfices psychiques ont été obtenus lorsque les femmes ont trouvé « cohérence » et « plénitude » dans leur vie, lorsque leurs connaissances existantes n’étaient plus « archivées » dans leur mémoire mais utilisées pour aider les communautés, lorsqu’elles pouvaient échapper au travail domestique dégradant du secteur informel et créer un « foyer lointain de la maison » dans le centre communautaire (Ibid., 104).
Ce sont les femmes les plus pauvres qui ont trouvé des moyens d’action et qui ont le plus profité de Jefes. Néanmoins, les principaux obstacles à leur participation au programme n’étaient pas leurs responsabilités en matière de garde d’enfants ou la pauvreté, mais les mœurs sociales des décideurs concernant ce qui était considéré comme un travail « productif » et « improductif » et qui devait être considéré comme « employable » et « inemployable ». Telles sont les attitudes qui ont motivé la réforme de Jefes.
3. Note sur Les programmes de reformes : Pourquoi le travail rémunéré est-il supérieur à l’aide sociale ?
Comme on l’a vu plus haut, dans les cas où les projets Jefes étaient encore en cours, les femmes continuaient à se rendre sur leur lieu de travail, mais les efforts déployés par le gouvernement pour les « encourager » à quitter Jefes étaient importants. Cette « stratégie marketing » a été en partie motivée par les résultats de deux projets pilotes visant à transférer les travailleurs de Jefes à Plan Familias – un des programmes pilotes a été lancé dans le district d’Ituzaingó, Bs.As., et l’autre à Santa Fé. La Banque Interaméricaine de Développement (IADB) a fait valoir que ces programmes pilotes ont donné des résultats « acceptables » (IADB 2005, p. 29). A Ituzaingó, 94 % de la population considérée comme inemployable a été persuadée avec succès de passer au Plan Familias, mais à Santa Fe, moins de 50 % de la population admissible a choisi de quitter Jefes (Ibid.). En raison de ces résultats pilotes, il a été recommandé que le gouvernement élargisse ses efforts de relations publiques pour expliquer les avantages attendus de Familias aux femmes participant à Jefes. En résumé, les politiques paternalistes qui prétendent savoir ce qui est mieux pour les pauvres que les pauvres eux-mêmes ont conduit à la réforme de Jefes, poussées par les stéréotypes de genre sur le type de travail productif et improductif et sur les individus employables et inemployables.
Bien que Plan Familias ait essayé de compléter le transfert en espèces par divers ateliers de formation, d’éducation et d’autonomisation, les femmes n’en ont pas bénéficié autant qu’elles ne l’ont fait en y ayant accès par le biais du programme Jefes (qui, il faut le reconnaître, comportait un volet formation et éducation trop faible par rapport aux besoins). Néanmoins, les données indiquent que les femmes pauvres veulent travailler et se sentent habilitées à travailler au sein de la communauté et pour le compte de celle-ci. Un atelier éducatif peut leur enseigner leurs droits civils, sociaux et politiques, mais Jefes leur a permis de les exercer. Les femmes peuvent s’informer sur l’autonomisation en classe, ou bien se voir offrir des possibilités tangibles d’autonomisation. Des ateliers sur la prévention de la violence et de l’information sur les refuges pour les victimes de violence sont tous souhaitables et tout à fait nécessaires, mais Jefes avait déjà commencé à les offrir. De plus, en participant activement à la prestation de ces services, les femmes deviennent non seulement des « patientes » de la prévention de la violence, mais aussi des « agents » du changement. Avec Jefes, le fardeau du travail non rémunéré associé à l’éducation des enfants a été non seulement réduit, mais les soins ont également été explicitement reconnus comme une fonction de la communauté plus large et non strictement de l’unité familiale individuelle. Cet aspect important de la socialisation des soins a contribué à favoriser une société responsable et une démocratie participative par le biais du service public.
La stipulation selon laquelle seules les femmes étaient éligibles au Plan Familias a renforcé l’opinion conservatrice selon laquelle le travail des femmes à Jefes était généralement improductif. La réforme demandait donc de les renvoyer chez elles avec un contrôle de l’aide sociale, en leur fournissant des informations sur les cours de rattrapage et de formation, mais sans la garantie d’un emploi disponible si elles le souhaitent. Cette réforme reposait essentiellement sur l’ancienne idéologie selon laquelle les politiques gouvernementales doivent inciter ou pousser les femmes à modifier leur comportement et leur caractère pour devenir « employables » si elles veulent travailler dans le secteur privé. Les rôles des femmes en tant que mères et épouses ont été renforcés par cette réforme, tout en s’efforçant d’aider leurs maris à passer à un emploi dans le secteur privé.
4. Les femmes pauvres veulent un salaire, pas des allocations
Les mères pauvres veulent participer à la société, recevoir un salaire et contribuer au marché privé et à la production communautaire. En même temps, les mères pauvres ressentent le besoin urgent que la société en général reconnaisse l’utilité de leur travail et du travail communautaire. Les femmes comprennent également que le revenu à lui seul ne suffit pas à les autonomiser. Les mœurs sociales dictent que l’autonomisation véritable vient du revenu gagné, et non des contributions charitables. Bien que les droits aux revenus non salariaux des femmes tentent de reconnaître le travail ménager comme un travail socialement utile qui mérite un soutien financier dans une société monétisée, ils n’offrent pas les mêmes avantages que les femmes déclarent obtenir d’un emploi rémunéré et ne contribuent pas à briser les stéréotypes sexistes de la répartition des responsabilités dans le ménage.
Les filets publics de protection de l’emploi, comme l’employeur de dernier ressort, sont des institutions qui placent les besoins humains au premier plan, car ils redéfinissent l' »efficience » de ce qui est « rentable » à ce qui est « utile » (voir aussi Archer, 2003 sur cette distinction). Ils engagent leurs participants directement dans l’objectif de l’avancement de l’intérêt public et sont donc des programmes qui favorisent l’inclusion. Ainsi, lors de la conception de la politique budgétaire, le lien entre inclusion et exclusion est important.
Les décideurs politiques affirment qu’il n’est pas souhaitable d’activer les femmes par le biais de ces programmes de garantie d’emploi (en les amenant « artificiellement » sur le marché du travail) et ne tiennent pas compte de ce que les femmes pauvres veulent réellement. Les femmes servent souvent de tampon pour compléter les stratégies de revenu des familles en temps de crise. En ce qui concerne les relations de pouvoir au sein du ménage, les femmes peuvent être en mesure de le faire parce que, pendant les crises, leur mari peut leur permettre de travailler à l’extérieur du foyer, mais lorsque les revenus familiaux sont suffisants, les femmes sont poussées à l’inactivité par les mœurs sociales, les attitudes du mari ou simplement le manque de possibilités d’emploi. La garantie d’emploi, en revanche, reconnaît le droit de tous les hommes et de toutes les femmes de participer à un programme d’emploi universel qui redéfinit la société civile. La résistance des hommes à la participation des femmes peut être moindre si la garantie d’emploi est accessible à tous, mais en outre, l’existence même d’une possibilité d’emploi garantie donnera du mordant aux femmes lorsqu’elles demandent du travail en dehors du foyer. Encore une fois, il est important de noter que la garantie d’emploi et l’employeur de dernier ressort ne sont pas des programmes coercitifs ; ils offrent un revenu et la possibilité de travailler. Les personnes au foyer qui préfèrent rester à la maison ne se sentiront pas obligées de s’inscrire à un tel programme et pourront bénéficier de l’allocation familiale universelle qui s’ajoute à la stratégie publique pour l’emploi.
5. Pourquoi il est important pour l’EDR d’offrir l’accès à tous
La garantie d’emploi doit être un programme universel, même si elle peut apporter des avantages essentiels, notamment pour les femmes. Si elle n’est pas universelle, elle créera un antagonisme social et un sentiment réactionnaire, comme le démontre l’expérience de Jefes. Si Jefes avait été conçu comme un programme universel, il aurait probablement produit une répartition plus équitable entre les hommes et les femmes qui participaient au programme. De plus, parce que Jefes n’était pas universel, le chômage en Argentine n’a pas a été éradiqué, même s’il a décliné rapidement et de façon spectaculaire.
Si l’égalité d’accès avait été accordée à tous, les femmes auraient probablement été moins stigmatisées qu’elles l’ont été. Les personnes qui occupent un emploi public ne seraient pas stigmatisées autant que celles qui recevraient de l’aide sociale. Cependant, il faut noter que, parce que les bénéficiaires de l’aide sociale sont souvent largement invisibles, la société ne s’oppose pas toujours aux programmes d’aide sociale – même s’ils sont plus coûteux ou moins efficaces que les programmes d’emploi publics. Il est donc très important que la production publique visible produite par les femmes et les hommes soit à la fois utile et nécessaire, mais qu’elle soit également reconnue comme telle.
Un Jefes universel aurait également produit une formalisation plus rapide de l’activité informelle et un effet anticyclique plus marqué. Néanmoins, les hommes sont toujours plus nombreux que les femmes à occuper un emploi dans le secteur privé[5] (MTEySS 2005), ce qui indique divers obstacles à l’entrée dans le secteur privé (discrimination, manque de possibilités préalables ou d’expérience professionnelle) ou une simple auto-sélection, si les femmes préfèrent la proximité du domicile. Ainsi, la garantie d’emploi doit s’accompagner de lois équitables en matière d’embauche, de discrimination positive et d’autres dispositions. La garantie d’emploi ne peut pas corriger toutes les discriminations dans les pratiques d’embauche, mais elle pourrait potentiellement assurer que les employeurs du secteur privé, qui embauchent dans le secteur public, le fassent sur la base des compétences et non du sexe. En outre, la garantie d’emploi elle-même peut être conçue de manière à augmenter « l’employabilité » des femmes, mais parce qu’elle garantit l’opportunité d’emploi dans le secteur public, elle permet également aux femmes de refuser un emploi dans le secteur privé dans des conditions inférieures à la normale.
Enfin, à Jefes, les produits et les revenus de l’emploi public n’étaient pas contrôlés
par les hommes. Les femmes produisaient, distribuaient et vendaient leur propre production. Elles conservaient une partie de leurs revenus pour les réinvestir dans la coopérative ou la micro-entreprise, ou pour répondre aux besoins du ménage et des enfants. Bien que les femmes croient clairement que les possibilités d’emploi leur donnent les moyens d’agir, il est fort possible qu’elles émasculent leur conjoint, ce qui suscite du ressentiment à l’égard du travail dans le secteur public. C’est pourquoi l’universalisation, et non l’élimination, du Plan Jefes aurait été une meilleure solution. Les hommes sont moins réticents à l’emploi des femmes lorsque les deux sexes ont accès à la même opportunité, même si les hommes ne finissent pas par profiter de ces possibilités. Dans le contexte moderne, il est moins susceptible d’améliorer l’efficacité des pratiques d’emploi des multinationales suffisamment rapidement pour permettre aux femmes d’accéder à l’égalité des chances en matière d’emploi. Bien qu’un tel objectif soit de la plus haute importance pour des conditions du marché du travail plus égalitaires, une étape vers la réalisation de cet objectif consiste à offrir des possibilités d’emploi aux hommes et aux femmes dans le secteur public. Tant que ces emplois du secteur public seront conçus en tenant compte des spécificités du genre, ils pourront intégrer l’économie des soins dans la sphère publique et contribuer à redéfinir le sens du travail, de la stricte utilité marchande à l’utilité sociale. Une telle re-conceptualisation du travail et du domaine du secteur public est nécessaire pour mettre en œuvre des politiques de stabilisation macroéconomique durables et soucieuses de l’égalité des sexes à long terme, du plein emploi et la réduction de la pauvreté.
IV CONCLUSION
La documentation sur l’EDR tend à mettre l’accent sur les importants effets de stabilisation macroéconomique du programme. Il est important de noter qu’il s’agit de l’une des très rares propositions politiques qui garantissent et maintiennent le plus près possible du plein emploi sur le long terme. Ces derniers objectifs sont, après tout, la raison d’être de la politique budgétaire, telle qu’elle est formulée par John Maynard Keynes. Lorsque nous examinons le bien-fondé de la proposition d’EDR, il y a lieu de croire que le programme peut répondre à des préoccupations autres que celles du chômage. En effet, l’EDR peut être un outil de transformation des politiques qui s’attaque aux problèmes socioéconomiques urgents, tels que la pauvreté et la disparité entre les sexes. L’EDR devient non seulement une politique de plein emploi, mais également une institution pour le changement.
Notes
[1] Une forme de protestation où les gens descendent dans la rue en frappant des casseroles ou des « cacerolas ».
[2] Pour plus de détails sur l’historique du programme, voir Kostzer (2008).
[3] C’est une indication que des offres d’emploi à durée indéterminée comme celles-ci ramèneront de nombreuses personnes découragées dans la population active. Par conséquent, toute conception de programme doit tenir compte de la réactivation des personnes que les statistiques officielles n’ont pas réussi à saisir comme chômeurs.
[4] Et en effet, après environ 4,5 ans d’exploitation, Jefes a été progressivement fermé.
[5] Bien que les femmes représentaient environ 74 % des participants au programme Jefes en 2005, seulement 34 % de tous les participants qui ont trouvé un emploi dans le secteur privé après leur inscription au programme étaient des femmes (MTEySS 2005).
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Article original : http://www.levyinstitute.org/pubs/wp_732.pdf
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