par
Pavlina R. Tcherneva
Levy Economics Institute of Bard College
Working Paper N° 517
Octobre 2007
TRADUCTION PAR
Robert Cauneau – MMT France
RÉSUMÉ
Il existe une littérature qui privilégie les politiques d’assurance publique universelles et inconditionnelles par rapport à celles qui sont ciblées et soumises à des conditions de ressources. Deux de ces propositions – la proposition de revenu de base et les garanties d’emploi – sont examinées ici. Le document évalue l’impact de chaque programme sur la stabilité macroéconomique, faisant valoir que la création d’emplois directs présente des caractéristiques de stabilisation inhérentes qui font défaut dans la proposition de revenu de base. Un examen de la dynamique moderne de la finance et du marché du travail rend cette dernière proposition fondamentalement inflationniste et potentiellement stagflationniste. Après avoir étudié la viabilité macroéconomique de chaque programme, l’article traite en détail de leurs mérites environnementaux. Il est avancé que les conséquences « vertes » de la proposition de revenu de base sont susceptibles d’émerger, non pas de son modus operandi, mais des régimes fiscaux qui ont été proposés pour son financement. En revanche, la proposition de garantie d’emploi peut servir de véhicule institutionnel pour atteindre divers objectifs environnementaux en ciblant explicitement la réhabilitation, la conservation et la durabilité environnementales. Enfin, dans l’espoir de parvenir à un consensus, le document présente une proposition de politique conjointe qui est économiquement viable, respectueuse de l’environnement et socialement juste.
1. Introduction
Les garanties de revenu de base et d’emploi sont deux propositions d’intérêt public fondées sur la conviction que des politiques universelles et inconditionnelles sont plus efficaces et plus justes que des programmes ciblés et soumis à conditions de ressources. Les points d’accord proviennent d’un rejet des politiques modernes de protection sociale et du marché du travail comme étant inéquitables et inefficaces, et d’un engagement illimité à garantir le droit à la subsistance pour tous les individus. Les deux politiques visent à améliorer la liberté individuelle, les possibilités économiques, la citoyenneté avancée et l’inclusion sociale par l’éradication de la pauvreté, le renforcement du capital humain, la revitalisation des collectivités et le renouvellement environnemental. Cependant, la manière d’atteindre ces objectifs est vigoureusement contestée et les sources de désaccord sont nombreuses.
En bref, les partisans du revenu de base considèrent que les économies modernes se dirigent vers des marchés du travail de plus en plus précaires et soutiennent que l’emploi ne peut être la réponse à une vie meilleure (Aronowitz et DiFazio 1994). En outre, si certaines personnes sont dispensées de travailler (par héritage, par exemple), d’autres sont contraintes de travailler, souvent dans de « mauvais » emplois, pour gagner leur vie. Par conséquent, il est avancé que toute politique sociale qui renforce la liberté réelle doit donner aux individus un accès égal aux richesses de la nature par le biais d’un revenu garanti mais sans la contrainte de travailler pour elle (Van Parijs 1995). Une telle politique les émancipera davantage de l’emploi coercitif en leur donnant le pouvoir de dire « non » au travail avilissant ou simplement obligatoire (Widerquist 2004). Le capitalisme est considéré comme fondamentalement injuste, en grande partie à cause de la dépendance à l’égard du travail comme source de revenus. Ainsi, l’objectif central de la politique du revenu de base est de rompre le lien entre les deux.
En revanche, les partisans de la garantie d’emploi soutiennent que les défenseurs du revenu de base ont mal interprété le problème de l’insécurité du revenu (Harvey 2003 ; Mitchell et Watts 2004). Un programme d’emploi garanti bien structuré qui offre des possibilités de travail valorisant à un salaire décent contrebalance inévitablement la précarité du marché du travail en éliminant le chômage, en réduisant considérablement la pauvreté et en améliorant la liberté individuelle de dire » non » aux mauvais emplois. En d’autres termes, dans une économie monétaire de marché, bon nombre des problèmes observés sur le marché du travail découlent d’une quantité et d’une qualité insuffisantes des emplois. Ce n’est qu’une fois que le droit au travail aura été garanti pour tous que nous pourrons évaluer de manière adéquate les échecs des politiques de marché et de bien-être (Harvey 2003). Garantir le droit au travail est l’objectif primordial des défenseurs de la garantie de l’emploi.
Certaines critiques importantes portent sur la viabilité économique des propositions relatives au revenu de base. L’accusation principale est qu’elles sont intrinsèquement inflationnistes, avec des conséquences potentiellement désastreuses pour la devise nationale. En outre, le fort effet déstabilisateur des revenus de base sur les marchés du travail et les salaires rend cette politique potentiellement stagflationniste et hyperinflationniste (Mitchell et Watts 2004 ; Tcherneva 2006a).
L’objectif de ce chapitre est triple. Premièrement, il examine la viabilité macroéconomique de chaque programme dans le contexte des économies modernes de production monétaire. Deuxièmement, il traite en détail de leurs mérites environnementaux. Enfin, dans l’espoir de parvenir à un consensus, il présente une proposition de politique commune qui est économiquement viable, respectueuse de l’environnement et socialement juste.
2. POUVONS-NOUS PAYER LES GARANTIES DE REVENU DE BASE OU D’EMPLOI ?
Tout au long de ce chapitre, deux propositions politiques spécifiques seront discutées. Le principe de garantie de revenu de base (GRB) fournit un paiement universel à chaque citoyen, sans distinction de race, de sexe, d’état civil ou de participation au marché du travail, à un niveau suffisant pour se procurer le niveau de vie de base nécessaire.[1] Le programme de garantie d’emploi est du genre à offrir un emploi financé par le gouvernement fédéral à quiconque est prêt, disposé et capable de travailler, mais qui n’a pas trouvé l’emploi souhaité dans le secteur privé. Il offre un salaire de subsistance et des conditions de travail décentes. Le programme s’inspire de propositions récentes concernant l’emploi dans la fonction publique (PSE), le gouvernement en tant qu’employeur de dernier ressort (EDR) et les modèles d’emploi de stock-tampon (BSE)[2].
Les fausses notions de finances publiques sont peut-être l’obstacle le plus important à la mise en œuvre d’importantes politiques gouvernementales. On a beaucoup écrit sur la façon de payer le revenu de base et les garanties d’emploi.[3] Une telle discussion n’est techniquement pertinente que pour les pays qui ont renoncé au contrôle souverain de leur devise nationale (par exemple, ceux qui sont soumis à une caisse d’émission ou à un autre régime de taux de change fixe). Toutefois, les pays à devise souveraine (la majorité des pays du monde) ne sont pas confrontés à des contraintes de financement opérationnel. Certes, ils sont confrontés à des contraintes politiques qui pourraient être ébranlées par la pleine appréciation du fonctionnement des devises souveraines. Bien que l’idéologie de « l’argent du contribuable » soit enracinée dans tout discours contemporain, il est crucial de dissiper ses fausses prémisses pour bien comprendre la nature des garanties universelles. C’est l’objet de la présente section.
Il existe une abondante littérature qui s’est concentrée sur les principes de la finance souveraine.[4] Il y a trois principes spécifiques que je tiens à souligner ici. Premièrement, la fiscalité et les dépenses sont toujours deux opérations indépendantes, mais en régime de changes flottants, les premières ne financent pas et ne peuvent pas financer les secondes. Une nation souveraine peut toujours payer pour les programmes publics de son choix, qu’il s’agisse du revenu de base, des garanties d’emploi ou de tout autre programme, sans égard au recouvrement des impôts. Cela ne signifie pas pour autant que le recouvrement de l’impôt n’est pas sans importance. Le deuxième point à souligner est que si l’émission de devise nationale ne dépend pas des impôts, le recouvrement des impôts est d’une importance cruciale pour le maintien de la viabilité de la devise nationale. En fait, dans les économies de production monétaire, la valeur de la devise nationale est liée à ce que l’on doit faire pour l’obtenir (pour le remboursement d’impôts ou d’autres obligations), et le secteur public peut directement fixer ses conditions de change et, par conséquent, affecter sa valeur. Troisièmement, dans une économie de marché moderne, le chômage est toujours et partout un phénomène monétaire qui peut être traité efficacement avec une application appropriée de la finance souveraine.
2.1 Contrôle des devises souveraines
L’une des erreurs les plus courantes consiste à confondre les finances du gouvernement et les finances non gouvernementales. Si le secteur privé est effectivement limité par les recettes ou par l’emprunt pour ses dépenses, ce n’est pas le cas du secteur public, qui « finance » ses dépenses avec sa propre devise. Cela reflète le statut de fournisseur unique (ou de monopole monétaire) de ce dernier. Comme l’approche fiscale de la monnaie l’a clairement montré, le but de la fiscalité n’est pas de « financer » les dépenses de l’État, mais plutôt de créer une demande pour la monnaie du souverain. Dans les économies modernes, comme aux États-Unis, au Royaume-Uni ou au Japon, la monnaie (le dollar, la livre sterling et le yen, respectivement) n’est pas une ressource « limitée » du gouvernement (Mosler, 1997-1998). Le gouvernement consolidé (avec le Trésor et la banque centrale comme agents) dépense en créditant les comptes bancaires privés et les impôts en les débitant. Ainsi, la fiscalité ne sert plus aujourd’hui à financer les dépenses publiques, mais à créer une demande pour des devises d’État qui ne seraient pas autrement adossées à des réserves. De cette façon, l’autorité émettrice peut acheter les biens et services nécessaires auprès du secteur privé. La fiscalité est, en un sens, un moyen de transférer des ressources du domaine privé au domaine public.
Si le but de l’imposition est de créer une demande pour la devise de l’État, alors logiquement et opérationnellement, le recouvrement de l’impôt ne peut avoir lieu avant que le gouvernement ait fourni ce qu’il exige pour le paiement des impôts. En d’autres termes, non seulement les dépenses et la fiscalité sont deux opérations entièrement indépendantes, mais les premières doivent nécessairement précéder les secondes. Une autre façon de voir cette causalité est de dire que les dépenses publiques « financent » les « paiements d’impôts » du secteur privé et non l’inverse.[5]
En résumé, les gouvernements souverains ont un monopole public sur la devise nationale. Les dépenses du gouvernement précèdent les impôts et les dépenses créent toujours de la nouvelle monnaie de haute puissance (MHP), alors que les impôts la détruisent toujours. Par conséquent, les impôts ne sont jamais accumulés et ne peuvent être utilisés pour « financer » des dépenses futures. Cela signifie également que le solde budgétaire est un résultat comptable ex post. Une politique « neutre sur le plan budgétaire » vise à mesurer un résultat comptable ultérieur, qui ne donne aucune connaissance des conséquences économiques de cette politique.
Bien que les gouvernements ne soient pas limités sur le plan opérationnel dans leurs dépenses, il est d’une importance cruciale de savoir quels programmes ils ont choisi de financer. En tant que fournisseurs exclusifs de la devise fiduciaire, ils ont également la responsabilité de maintenir sa valeur, et certaines politiques sont mieux adaptées que d’autres pour le faire.
2.2 La Valeur de la Devise Nationale
Les impôts créent une demande pour la monnaie du gouvernement, mais ils lui donnent aussi de la valeur. Innes (1913) le souligne : « Un dollar de monnaie est un dollar, non pas à cause du matériau dont il est fait, mais à cause du dollar d’impôt qui est imposé pour le racheter. » Il a également fait valoir que « plus il y a de monnaie du gouvernement en circulation, plus nous sommes pauvres ». En d’autres termes, si les fonds publics en circulation dépassent de loin le montant total de l’impôt à payer, la valeur de la devise nationale diminuera. Ainsi, ce n’est pas seulement l’obligation de payer des impôts, mais aussi la difficulté d’obtenir ce qui règle l’obligation fiscale, qui donne sa valeur à la monnaie.
Cette relation importante entre les fuites et les injections de monnaie de haute puissance (MHP) est difficile à mesurer. Comme la devise nationale est un monopole public, le gouvernement dispose d’une méthode directe pour déterminer sa valeur. Pour Knapp, les paiements avec la monnaie fiduciaire de l’État mesurent un certain nombre d’unités de valeur (1973[1924] : pp. 7- 8). Par exemple, si l’État exigeait que pour obtenir une unité de MHP, une personne doit fournir une heure de travail, alors la monnaie vaudra exactement cette heure de travail (Wray 2003). Ainsi, en tant qu’émetteur monopolistique de la devise, l’État peut déterminer la valeur de cette dernière en fixant » unilatéralement les conditions d’échange qu’il offrira à ceux qui cherchent sa devise » (Forstater et Mosler 1999).[6]
Cela signifie que l’État a le pouvoir de fixer de façon exogène le prix auquel il fournira la MHP, c’est-à-dire le prix auquel il achète des actifs, des biens et des services du secteur privé. S’il n’est guère souhaitable que l’État fixe les prix de tous les biens et services qu’il achète, il a néanmoins cette prérogative. Comme nous le verrons plus loin, par le biais de la garantie d’emploi, le monopoleur de la devise n’a qu’à fixer un seul prix pour ancrer la valeur de sa devise. En revanche, la garantie de revenu de base ne fixe pas de conditions d’échange pour la devise souveraine ; au contraire, elle la fournit sans condition.
2.3 Le chômage est un phénomène monétaire
Le dernier point à souligner dans cette section est que le chômage est un phénomène monétaire. Cela a été bien démontré par Keynes dans la Théorie Générale, mais l’approche fiscale de la monnaie jette un nouvel éclairage sur ce que Keynes entend par » la monnaie est un puits sans fond de pouvoir d’achat…[et] il n’y a pas de valeur pour elle à laquelle la demande[pour elle] est détournée… vers une demande pour autre chose » (Keynes 1964[1936]).
Les dépenses publiques déficitaires se traduisent nécessairement par une augmentation de la détention d’actifs financiers nets par le secteur privé. Si le secteur non gouvernemental désire constamment épargner plus qu’il n’investit, l’écart de la demande se creusera (Wray, 1998). Cet écart de demande ne peut être comblé par d’autres agents du secteur privé, car pour que certaines personnes puissent accroître leur épargne nette, d’autres doivent diminuer la leur. Dans l’ensemble, une augmentation du désir d’épargner net ne peut être compensée que par une augmentation des dépenses publiques en matière de déficit. explique Mosler :
Il y a chômage lorsque, dans l’ensemble, le secteur privé veut travailler et gagner l’unité de compte monétaire, mais ne veut pas dépenser tout ce qu’il gagnerait (s’il travaillait à plein temps) sur les produits courants de l’industrie… Le chômage involontaire est la preuve que la détention souhaitée des actifs financiers nets du secteur privé dépasse les [économies nettes] réelles autorisées par la politique budgétaire gouvernementale. (Mosler 1997-98)
De même, Wray (1998) conclut que » le chômage est la preuve de facto que le déficit public est trop faible pour fournir le niveau d’épargne nette souhaité « . Dans un sens, le chômage conserve la valeur de la devise nationale parce que c’est le reflet d’une position où « le gouvernement a maintenu l’offre de devise fiduciaire trop rare ». Bien que les économistes traditionnels soutiennent que nous devons imposer un ralentissement de l’économie afin de maintenir le pouvoir d’achat de la devise, comme l’explique le présent document, des politiques gouvernementales bien conçues de plein emploi peuvent faire l’affaire.
En résumé, un gouvernement souverain n’est pas limité sur le plan opérationnel dans le financement des programmes publics. Mais le monopoleur de la devise a aussi la responsabilité de maintenir la valeur de la devise. Parce qu’à l’heure actuelle, elle ne fixe pas les conditions de change de sa devise, elle utilise le chômage pour maintenir son pouvoir d’achat. Le chômage est un phénomène monétaire et le reflet d’une trop grande rareté de la devise. C’est dans cette optique que nous pouvons évaluer les impacts économiques de la mise en œuvre des garanties de revenu de base et d’emploi.
3. Conséquences Macroéconomiques de la Garantie de Revenu de Base (GRB)
Un point central de la proposition de revenu de base est sa neutralité budgétaire (Atkinson 1995 ; Van Parijs 2004). Une telle analyse découle vraisemblablement des efforts visant à écarter les objections néolibérales aux dépenses publiques consacrées au déficit (Mitchell et Watts, 2004). Cette section soutient que la préoccupation de neutralité budgétaire est erronée pour deux raisons. Tout d’abord, elle occulte la nature inflationniste de la GRB en s’appuyant sur les notions classiques de finances publiques. Deuxièmement, parce que les impôts sont en grande partie endogènes, les tentatives de » lever » suffisamment de recettes fiscales pour contrebalancer l’augmentation des dépenses consacrées à la GRB risquent d’avoir des effets macroéconomiques pervers.
3.1 L’Inflation – une caractéristique inhérente à la GRB
Comme le montre clairement l’approche fiscale de la devise nationale, les impôts confèrent de la valeur à la devise nationale en créant une demande pour celle-ci. De plus, la valeur de cette devise est déterminée par ce qui est nécessaire pour l’obtenir. Dans le cas d’une GRB, il n’y a pas d’exigence de ce genre, car les paiements de revenu sont versés de façon universelle et inconditionnelle. Si un programme est mis en place pour permettre à la population d’obtenir librement l’unité qui remplit l’obligation fiscale, la valeur de la devise se détériorera fortement. Bien que cela puisse ne pas se produire immédiatement, avec le temps, la valeur d’une devise fournie inconditionnellement tendra en fin de compte à zéro. Il faut souligner que le revenu de base n’est pas inflationniste parce qu’il est financé par de la devise « fiat », mais parce que la devise est essentiellement « gratuite » (Tcherneva et Wray 2005a) et est fournie à la demande à tous. Par conséquent, cela a pour effet d’invalider l’objectif des taxes et des impôts, c’est-à-dire de créer une demande pour la devise de l’État. Nous pouvons alors facilement envisager un scénario où la devise perdrait de sa valeur et où les agents du secteur privé réévalueraient leurs transactions en fonction d’une autre devise (plus forte). L’histoire regorge d’exemples de ce genre. De l’incapacité de percevoir l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés en Russie à la fin des années 1990, à la fourniture de devise » gratuite » par le biais de prêts non garantis en Europe de l’Est pendant la période de transition, en passant par l’accélération du paiement des intérêts sur la dette publique en Turquie dans les années 1990, toutes les politiques ont entraîné un effondrement de la devise nationale et une fuite vers des devises étrangères plus fortes (pour des détails, voir Hudson 2003 ; Mitchell 2002 ; Tcherneva 2006a).
Ce n’est pas seulement le fait que la devise soit libre qui produit un effet déstabilisant. Une garantie de revenu de base qui achète le niveau de vie minimum (supposons que ce montant soit égal à 20 000 $ aux États-Unis) provoquera un exode de la population active des travailleurs qui avaient l’habitude de » gagner » leur niveau de vie minimum en travaillant. En d’autres termes, les travailleurs occupant certains emplois (peut-être la plupart) rémunérés à 20 000 $ se retireront de la population active (surtout s’il s’agit de » mauvais » emplois). La prochaine question à examiner est donc l’impact des garanties de revenu de base sur la participation au marché du travail et l’activité économique.
3.2 L’impact de la GRB sur les budgets gouvernementaux, les salaires, les prix et la main-d’œuvre
Étant donné que les recettes fiscales sont en grande partie endogènes, le souci de neutralité budgétaire des politiques de GRB peut produire des barèmes fiscaux qui peuvent avoir des effets pervers sur le marché. En fait, il pourrait s’avérer impossible que la proposition GRB soit budgétairement neutre.
Certains ont proposé, par exemple, que la garantie de revenu de base soit « financée » par un impôt forfaitaire (Clark 2004 ; Atkinson 1995). Il est raisonnable de s’attendre à ce que la garantie d’un revenu de base de 20 000 $ incite certaines personnes occupant des emplois » mal rémunérés » de 20 000 $ à quitter le marché (un effet souhaitable selon les défenseurs de la GRB). L’impact qui en résultera sur l’emploi, le revenu et le recouvrement de l’impôt sera négatif. Lorsque les recettes fiscales diminuent, il en résulte un déficit budgétaire et, bien que le déficit lui-même ne pose pas de problème, la contrainte sera d’augmenter les taux d’imposition pour atteindre la neutralité budgétaire visée. Cette augmentation d’impôt inciterait une nouvelle cohorte de travailleurs qui gagnent maintenant 20 000 $ de revenu après impôt à quitter le marché du travail dans l’espoir de vivre de la prestation GRB. Toutes les hausses d’impôts supplémentaires qui tentent de rattraper l’augmentation des paiements de la GRB éroderont encore davantage l’emploi et la production (encore une fois, avec une limite logique de zéro).
Si les impôts sont progressifs (comme le préconisent Aronowitz et Cutler[1998] et Aronowitz et DiFazio[1994], par exemple), cet effet de substitution peut prendre un peu plus de temps à se concrétiser, mais s’ils sont régressifs (comme le proposent Van Parijs[1995] et Meade[1989]), le taux d’abandon de la population active sera considérablement supérieur, car les impôts rétroactifs ont un effet de dissuasion plus marqué pour les emplois à bas salaires. En tout état de cause, il est peu probable que la GRB parvienne à la neutralité budgétaire parce que les recettes fiscales sont endogènes et qu’elles ne pourront jamais rattraper l’augmentation des prestations versées par la GRB.
L’impact sur la main-d’œuvre et la production est également négatif. Cette sortie apparemment » volontaire » du marché du travail est la solution GRB du chômage. Il s’agit toutefois d’un résultat artificiel, car le plein emploi est atteint en concevant une réduction artificielle de l’offre de travail (Mitchell et Watts 2004). En effet, le plein emploi prend la forme d’une « inactivité forcée ». Afin d’inciter les bénéficiaires de la GRB à réintégrer le marché du travail, certains employeurs devront offrir des salaires plus élevés (ce qui, à première vue, est un effet souhaitable). Toutefois, peu de temps après, les mêmes employeurs augmenteront également les prix pour couvrir leurs augmentations de coûts salariaux. En conséquence, la hausse des prix érodera le pouvoir d’achat du paiement de la GRB, ce qui sapera les conditions économiques de ses bénéficiaires. Pour maintenir l’objectif de la garantie universelle et assurer un niveau de vie minimum nécessaire, il y aura des pressions pour réviser à la hausse la prestation GRB. Un tel mouvement induira une sortie supplémentaire du marché du travail, une baisse de la production, une hausse compensatoire des salaires et des prix, et une nouvelle baisse du pouvoir d’achat de la GRB. Ce cercle vicieux rend la garantie de revenu autodestructrice. Il est à noter que si la prestation est continuellement augmentée, la garantie de revenu devient non seulement inflationniste, mais hyperinflationniste.
Simultanément, une augmentation des impôts pour atteindre la neutralité budgétaire incitera les travailleurs en marge à quitter la population active. L’effet négatif sur la participation de la main-d’œuvre dû à l’augmentation des paiements et des taux d’imposition, ainsi que les hausses de prix qui s’ensuivraient, entraînerait une baisse de la production, une baisse de l’emploi et des prix de plus en plus élevés qu’avant la mise en œuvre du programme de la GRB. Si les décideurs augmentent continuellement les prestations pour compenser la perte de pouvoir d’achat des bénéficiaires et augmentent en même temps continuellement les impôts pour « financer » l’augmentation des dépenses, il en résultera probablement une stagflation – faible taux d’emploi et prix élevés[7].
Comme la GRB ne parvient jamais à donner aux gens le pouvoir d’achat nécessaire, certaines personnes seront obligées de retourner sur le marché du travail, peut-être même dans de « mauvais » emplois. Ainsi, la mise en œuvre de la GRB est susceptible de produire un environnement de chômage involontaire et des prix plus élevés. En résumé, nous devons être attentifs à la façon dont le gouvernement fournit la devise à la population. La logique erronée des finances publiques conduit à s’interroger sur la neutralité budgétaire, qui tente d’évaluer une identité comptable ex post qui ne dit rien sur les performances économiques[8].
4. Les Effets Macroéconomiques de l’Employeur en Dernier ressort (EDR)
Keynes (1964[1936]) a soutenu que « le chômage se développe… parce que les gens veulent la lune – les hommes ne puissent être employés lorsque l’objet du désir (c’est-à-dire la monnaie) est quelque chose qui ne peut être produit et dont la demande ne peut être facilement étouffée. » Comme l’approche de la monnaie fiscale le montre clairement, le chômage résulte du désir chronique de certains agents du secteur privé de thésauriser les actifs financiers nets, un désir qui ne peut être satisfait que par le secteur public. Hyman Minsky (1986) a reconnu que le chômage était un phénomène monétaire et a indiqué comment les ressources financières souhaitées peuvent être fournies en mettant en œuvre simultanément une stratégie réussie de plein emploi. Pour lui, c’était le rôle du gouvernement de séparer la détermination du plein emploi de la rentabilité de l’embauche. Ceci ne pouvait être accompli que lorsque le gouvernement créait une demande infiniment élastique de main-d’œuvre.
Lerner (1943) soutenait également qu’il incombait au gouvernement de continuer à dépenser « ni plus ni moins que ce taux qui, aux prix actuels, permettrait d’acheter tous les biens qu’il est possible de produire ». Les dépenses inférieures à ce niveau entraînent le chômage, tandis que les dépenses supérieures à ce niveau entraînent l’inflation. L’objectif est de maintenir les dépenses toujours au « bon » niveau afin d’assurer le plein emploi et la stabilité des prix.
Deux politiques, de conception pratiquement identique, qui embrassent la stratégie de plein emploi de Minsky et l’approche financière fonctionnelle de Lerner, sont l’EDR (Mosler, 1997-1998 ; Wray, 1998) et le modèle d’emploi du stock-tampon (Mitchell, 1998).[9] Ces prescriptions visent à éliminer le chômage tout en stabilisant la valeur de la devise nationale. Les propositions sont motivées par la reconnaissance du fait que les États souverains n’ont pas de contraintes financières opérationnelles, qu’ils peuvent fixer discrétionnairement un prix important dans l’économie et qu’ils peuvent fournir une demande de travail infiniment élastique. Par le biais de l’EDR, le gouvernement ne fixe que le prix de la main-d’œuvre du secteur public, ce qui permet de déterminer tous les autres prix sur le marché (Mosler 1997-98). Le salaire fixe du secteur public constitue une référence suffisamment stable pour la valeur de la devise (Wray 1998). Étant donné que les gouvernements ne sont pas soumis à des contraintes financières, le programme est mis en œuvre selon une règle de prix fixes/quantité flottante, c’est-à-dire que l’embauche dans l’EDR n’est pas limitée par des plafonds budgétaires (plus loin) et que les dépenses fluctuent de façon contracyclique. Par conséquent, les principaux mérites macroéconomiques de l’EDR qui manquent dans les propositions de la GRB sont sa capacité à stabiliser le cycle économique, la valeur de la devise et le niveau général des prix.
4.1 L’EDR stabilise le cycle économique
Avec la garantie d’emploi, les dépenses publiques pour l’emploi public fluctuent de manière contracyclique. En période de ralentissement économique, les entreprises privées licencient les travailleurs qui trouvent un emploi dans le secteur public. Les dépenses publiques augmentent automatiquement, ce qui permet de stimuler l’économie. Inversement, à mesure que l’économie s’améliore et que l’emploi dans le secteur privé se développe, les travailleurs sont recrutés à l’extérieur du bassin de l’EDR, ce qui réduit les dépenses publiques au titre du déficit. Il s’agit d’un puissant stabilisateur automatique qui garantit que les dépenses publiques sont toujours au « bon » niveau pour maintenir le plein emploi. En revanche, la GRB a un effet déstabilisateur sur le cycle économique, en raison de son biais inflationniste et de son impact négatif sur les taux d’activité et sur la production.
4.2 L’EDR fixe la valeur de la devise
Étant donné que la valeur de la devise nationale est déterminée par ce qu’il faut faire pour l’obtenir, avec un EDR en place, elle est liée au salaire dans le secteur public. Supposons que le gouvernement paie un travailleur public 20 000 $ par année (pour environ 2000 heures de travail), la valeur de la devise sera ancrée par l’effort consacré à gagner ce revenu, c’est-à-dire que sa valeur de référence est égale à 10 $ l’heure. En d’autres termes, 1 $ vaut 6 minutes de travail. Supposons maintenant qu’au lieu de payer 20 000 $, le gouvernement décide de payer 40 000 $ aux travailleurs de l’EDR. Le salaire horaire passe de 10 $ à 20 $ l’heure. Il faut maintenant aux travailleurs la moitié du temps (3 minutes) pour gagner ce qu’ils gagnaient avant l’augmentation du salaire dans le secteur public. Toutes choses étant égales par ailleurs, le pouvoir d’achat de la devise diminue de moitié (c.-à-d. que 10 $ permettent d’acheter une demi-heure de travail). Par contre, si le gouvernement réduit le salaire annuel à 10 000 $, les travailleurs devront travailler deux fois plus pour obtenir le même montant de dollars qu’auparavant, ce qui augmente la valeur de la devise.
Le pouvoir d’achat est mesuré en termes d’unités de travail que la devise peut acheter. Comme pour la GRB, la mise en œuvre d’un EDR entraînera une hausse ponctuelle des prix. Cependant, comme le pouvoir d’achat de la devise est lié aux heures de travail qu’elle peut acheter et que sa valeur ne se détériore donc pas progressivement comme dans le cas de la GRB, il n’est pas impératif de redéfinir continuellement le salaire à la hausse. Les salaires du secteur public constituent une référence interne stable pour les prix.
4.3 L’EDR renforce la stabilité des prix
Les politiques d' » amorçage de la pompe « , comme le keynésianisme militaire, sont inflationnistes, car elles embauchent principalement » au rabais » en se disputant les travailleurs les plus recherchés (Wray 1998). L’EDR, en revanche, recrute des employés » au ras du sol » et n’introduit pas ces pressions inflationnistes. En fait, elle renforce la stabilité des prix pour deux raisons principales. Premièrement, le programme EDR est un programme de stock-tampon qui fonctionne selon une règle de prix fixes/quantité flottante et, deuxièmement, les dépenses déficitaires pour l’emploi dans la fonction publique se situent toujours au bon niveau.
L’EDR est un programme de stock-tampon fonctionnant selon une règle de prix fixe/quantité flottante.
Les économistes craignent généralement que des niveaux élevés d’emploi n’introduisent des spirales salaires-prix. Il est donc nécessaire de montrer comment l’EDR contribue à la stabilité des salaires, ce qui, à son tour, favorise la stabilité des prix. Comme l’ont souligné Mitchell (1998) et Wray (1998), la clé est que l’EDR est conçu comme un programme de stock-tampon qui fonctionne selon une règle de prix fixe et de quantité flottante. L’idée est d’utiliser la main-d’œuvre comme stock-tampon et, comme c’est le cas pour tout produit de stock-tampon, le programme stabilisera le prix de ce produit.
En bref, en période de récession, les travailleurs sans emploi trouvent un emploi dans le secteur public au salaire fixe de l’EDR. Les dépenses publiques totales augmentent pour atténuer les pressions déflationnistes. Par ailleurs, lorsque l’économie se redresse et que la demande de main-d’œuvre non gouvernementale augmente, les travailleurs de l’EDR sont embauchés dans le secteur privé à un salaire supérieur à celui de l’EDR. Les dépenses publiques se contractent automatiquement, ce qui atténue ces pressions inflationnistes. En d’autres termes, lorsqu’il y a une pression à la hausse sur le prix du stock-tampon, le produit est vendu, et lorsqu’il y a des forces déflationnistes, il est acheté. L’emploi dans le secteur public agit donc comme un stock-tampon qui se réduit et se développe de manière contracyclique.
Le programme fonctionne selon une règle prix fixe/quantité flottante fixe, car le prix du stock-tampon (le salaire du secteur public) est fixe et la quantité de la marchandise (emploi dans le secteur public) peut flotter. Le salaire exogène du secteur public est stable à l’intérieur du pays et, étant donné que le travail est un produit de base (employé directement et indirectement dans la production de tout autre type de produit), il sert de référence parfaite pour tous les autres prix. C’est en ce sens que les salaires du secteur public constituent un point d’ancrage stable pour les prix dans l’économie. Cette importante caractéristique inhérente au programme de l’EDR n’a pas d’équivalent comparable dans les propositions de la GRB.
Ce mécanisme de stock-tampon permet de s’assurer que les dépenses publiques se situent toujours (selon les instructions de M. Lerner) au « bon » niveau. L’approche fiscale de la devise explique qu’il n’y a rien de mal en soi à creuser des déficits.[10] Pour les partisans de l’EDR, le » bon » niveau de déficit est celui qui garantit le plein emploi. Toutefois, la conception anticyclique du programme de garantie d’emploi permet également de s’assurer que les dépenses au titre du déficit compenseront les pressions inflationnistes ou déflationnistes.
Il y a inflation ou déflation lorsque la demande globale est trop élevée ou trop faible par rapport à la production globale et à la capacité de production de l’économie. La clé pour contrebalancer ces pressions est d’augmenter le revenu et les dépenses jusqu’au niveau suffisant pour acheter la totalité de la production à plein emploi, ni plus, ni moins. De par sa conception, le programme d’EDR garantit que le déficit budgétaire qui en résulte n’est jamais trop important ou trop faible.
Les dépenses publiques augmenteront jusqu’à ce que le chômage soit éliminé, après quoi les déficits cesseront de croître, de sorte que la demande globale ne dépasse pas le niveau de plein emploi de l’offre globale. Inversement, si le chômage repart à la hausse, le déficit des dépenses augmentera de nouveau, ce qui amènera les deux à s’équilibrer. En d’autres termes, le caractère anticyclique et stabilisateur automatique du programme d’EDR garantit que les dépenses n’augmenteront que jusqu’au niveau de plein emploi de la production.[11] En revanche, les programmes de revenu de base ne peuvent se prévaloir d’une telle force compensatrice des variations de la demande de prix. Les projets EDR soutiennent également un environnement non inflationniste en améliorant l’efficacité et la croissance du capital humain et du secteur privé. Contrairement à la GRB, l’EDR assure directement le maintien et l’appréciation du capital humain, car la formation et l’éducation sont des caractéristiques explicites du programme. En outre, en s’attaquant de front au problème du chômage, l’EDR réduit également les coûts sociaux et économiques qui y sont associés. Enfin, la productivité du secteur privé est améliorée en orientant les projets d’EDR vers le développement de l’infrastructure publique, l’assainissement coûteux de l’environnement et la réduction des rigidités liées aux niveaux élevés d’utilisation de la capacité. Il est de plus en plus reconnu que les politiques publiques doivent renforcer non seulement la stabilisation macroéconomique, mais aussi la viabilité environnementale. La section suivante porte plus particulièrement sur les mérites environnementaux du revenu de base et des garanties d’emploi.
5. ASPECTS ENVIRONNEMENTAUX DES GARANTIES DE REVENU DE BASE ET D’E L’EMPLOI
Il existe un terrain d’entente important qui éclaire les préoccupations environnementales des défenseurs de la GRB et de l’EDR. Il repose en grande partie sur le rejet des politiques macroéconomiques contemporaines de croissance à tout prix, qui entraînent une répartition inégale des revenus, une surconsommation inutile au sommet,ainsi que la pauvreté et le dénuement à la base.
5.1 Croissance, répartition des revenus et environnement
L’EDR préconise de considérer les politiques qui visent agressivement à stimuler l’investissement privé comme déstabilisatrices, inflationnistes et dommageables pour l’environnement. Par conséquent, le secteur privé n’est pas en mesure de garantir la réalisation et la préservation du plein emploi ou de la durabilité environnementale. C’est pourquoi le secteur public a un rôle important à jouer dans la réalisation de ces deux objectifs. La proposition spécifique avancée est celle des emplois publics « verts » (Forstater 2004). Pour les partisans du revenu de base, par contre, les résultats favorables à l’environnement découlent naturellement : 1) de la redistribution prévue vers des revenus plus égaux ; 2) de la réduction subséquente des taux de croissance[12] ; et 3) des suggestions de financement des programmes par la pollution ou les taxes sur les ressources. Je parlerai d’abord de la croissance et de la répartition des revenus, puis je reviendrai plus tard sur les taxes respectueuses de l’environnement.
La croissance continue repose sur des taux d’expansion économique soutenus et croissants, sur l’augmentation de l’extraction des ressources et sur leur utilisation maximale. Les forces concurrentielles sous-jacentes de la minimisation des coûts impliquent souvent une pollution industrielle à grande échelle (car l’assainissement de l’environnement est coûteux et non rentable), tandis que la répartition inégale des revenus qui accompagne les politiques modernes favorables à la croissance induit certaines activités nuisibles à l’environnement parmi les pauvres (par exemple, la déforestation en Haïti et en Amazonie). Ces forces vont à l’encontre de la durabilité de l’environnement et pourraient finalement mener à la Tragédie des Communs (Lord 2003).
On s’attend à ce que la GRB produise des résultats souhaitables sur le plan environnemental en égalisant la répartition des revenus au bas de l’échelle. Cela signifie, par exemple, que les peuples autochtones du Brésil n’auront plus besoin d’exploiter l’Amazonie à des fins de subsistance. Cela signifierait également que le gaspillage de la consommation au sommet pourrait se poursuivre sans entrave, à moins qu’il n’y ait une redistribution considérable des revenus et un déclin de la croissance globale.
La croissance est freinée par le fait que la GRB offre la possibilité de se retirer du marché du travail et de s’engager dans des activités non marchandes – un résultat qui, selon certains, devrait être glorifié (p. ex., Murray 1997). S’il s’agit d’un scénario probable, toutes les conséquences négatives d’une réduction de la main-d’œuvre discutée ci-dessus s’appliqueront de plein fouet, ce qui rendra la GRB économiquement infaisable.
Une question importante à considérer est de savoir comment la GRB déclenche l’écoconscience. L’exploitation forestière de l’Amazonie cessera-t-elle ou sera-t-elle perçue comme une source de revenu supplémentaire qui améliorerait le niveau de vie au-delà de ce que permet le revenu minimum garanti ? Les consommateurs américains achèteront-ils plus d’aliments biologiques et moins de véhicules loisir-travail, ou les pauvres feront-ils aussi la queue pour le prochain véhicule énergivore (maintenant abordable) ? Qu’est-ce qui incitera les entreprises à opter pour des technologies propres sur le plan environnemental, en particulier face à l’augmentation du coût de la main-d’œuvre due à un exode massif de la main-d’œuvre ? Aucun de ces résultats n’est garanti par l’octroi d’un revenu de base. Pour être juste, les partisans de la GRB ont soutenu que le programme devrait être complété par d’autres politiques socialement souhaitables (p. ex., les règlements environnementaux), mais dans ce cas, les avantages environnementaux découleront de ces dernières et non de la fourniture d’un revenu de base. A cette fin, il est difficile de croire que dans les économies capitalistes modernes, la seule source de revenus déclenchera une extraordinaire chaîne d’événements qui incitera les individus à opter volontairement pour des « modes de vie plus simples et plus respectueux de l’environnement » (comme on le soutient, par exemple, dans Cohen et Rogers (2001)). La dure réalité est que ceux qui ont les modes de vie les plus simples sont ceux qui n’ont pas de revenu ; l’accès au revenu garanti leur permettra alors de participer plus activement à la société et à la culture dominante, ce qui entraînera probablement des modèles de consommation plus complexes dans la course pour suivre les voisins ou simplement améliorer leur propre niveau de vie. Dans de telles circonstances, les résultats environnementaux de la garantie de revenu sont ambigus.
Les promoteurs de l’EDR conviennent que la création d’emplois à n’importe quel prix (p. ex. au détriment de l’environnement) n’est pas une option politique viable. Minsky soutenait depuis longtemps qu’atteindre le plein emploi en stimulant la demande globale pourrait entraîner des résultats inéquitables et déstabilisants, car l’amorçage de la pompe a tendance à ne pas être durable sur le plan environnemental, à être inflationniste et à être un moyen peu fiable pour atteindre et maintenir le plein emploi.
Il semble que les partisans de la GRB refusent les garanties d’emploi en grande partie parce qu’ils les assimilent faussement à des pratiques contemporaines favorables à la croissance, à l’investissement et au profit. Il n’est peut-être pas bien compris que l’EDR dissocie la détermination du plein emploi de tout niveau spécifique de croissance économique. A la marge, le plein emploi est assuré par le secteur public qui embauche directement tous ceux qui souhaitent travailler et ne dépend pas de la croissance, de la demande globale, des subventions aux investissements ou des incitations fiscales. La croissance est une conséquence, et non une condition préalable, du plein emploi. En outre, lorsque les emplois EDR sont conçus en tenant compte de l’environnement, nous redéfinissons effectivement la croissance pour y inclure la production et l’emploi respectueux de l’environnement.
Il est à noter que les propositions de GRB dépendent toujours de la croissance pour leur source de financement (p. ex., les impôts sur le revenu). Ainsi, les désirs de la GRB de contrôler la croissance et sa dépendance à la croissance pour le financement sont fondamentalement en contradiction les uns avec les autres. Une telle énigme ne peut être résolue de manière satisfaisante. Comme on l’a vu plus haut, les pays ayant des monnaies souveraines et librement flottantes ne sont pas soumis à des contraintes de financement opérationnel, de sorte que le financement de la GRB ne dépend pas nécessairement d’un niveau particulier de croissance. Cependant, il est peu probable que les partisans de la GRB embrassent les principes de la finance moderne parce que ces propositions rendent immédiatement leur politique inflationniste.
En outre, si la GRB s’avère effectivement être inflationniste (ou hyperinflationniste), elle produira une répartition plus inégale des revenus lorsque les pauvres se retireront des « mauvais » emplois dans l’espoir de vivre du revenu de base alors que la valeur de ce paiement s’érode progressivement. Dans ce cas, il est probable que les pauvres seront loin d’être émancipés du travail obligatoire et pourraient être contraints de réintégrer le marché du travail. De plus (même s’ils le désirent), ils peuvent être incapables de s’engager dans des activités plus respectueuses de l’environnement, comme l’achat d’aliments cultivés localement ou d’appareils écologiques, car tous ces produits seront encore prohibitifs et coûteux. Par conséquent, toute conséquence respectueuse de l’environnement que pourrait avoir l’accès au revenu s’évaporera en même temps que la valeur réelle déflatée de ce revenu.
En revanche, la mise en œuvre de l’EDR ne dépend pas de niveaux spécifiques de croissance, mais c’est une politique favorable à la croissance dans la mesure où elle stabilise le cycle économique, renforce le capital humain et améliore l’environnement de l’investissement. En outre, son engagement en faveur d’emplois de service public respectueux de l’environnement contribue à une croissance écologiquement durable. La section suivante examine à quoi ressemble un programme d’EDR respectueux de l’environnement.
5.2 Emploi dans la fonction publique et environnement
Les défenseurs de l’EDR s’intéressent non seulement à l’offre d’un emploi inconditionnel, mais aussi à la structuration du programme de manière à répondre à des préoccupations économiques très spécifiques – dégradation de l’environnement, dégradation urbaine, inégalité entre les sexes, personnes âgées et enfants déficients, formation et éducation insuffisantes, et autres. Les vives préoccupations environnementales découlent précisément de la reconnaissance du fait qu’il y a un besoin immédiat de nettoyage et de restauration de l’environnement que le secteur privé n’est pas incité à réaliser au niveau requis. Les emplois EDR devraient faire partie d’un programme complet de durabilité environnementale et peuvent constituer la première étape immédiate vers la réhabilitation et la conservation de l’environnement. Bon nombre de ces tâches peuvent être effectuées par une main-d’œuvre relativement peu qualifiée. Forstater (2004) a appelé à la création d’un « Green Jobs Corps » comme modèle important pour le travail de l’EDR, où une taxe environnementale est incorporée explicitement dans la proposition et une application détaillée des tâches écologiques est avancée. Parmi les emplois d’EDR, mentionnons le reboisement, l’assainissement de l’eau, du sol et de l’air, le recyclage intensif aux niveaux local et national, l’isolation et l’imperméabilisation des bâtiments résidentiels et commerciaux, ainsi que la conversion de toutes les industries et institutions publiques à l’énergie de remplacement.
Par ailleurs, en raison des changements climatiques pressants, les villes, les municipalités et les pays commencent à faire face et continueront à faire face à des coûts croissants pour leurs économies. Par exemple, une élévation modérée du niveau de la mer inondera les régions côtières, provoquant des inondations, l’effondrement des infrastructures et la migration forcée possible de centaines de millions de personnes dans le monde (Goodstein et Doppelt 2006). De tels problèmes à grande échelle nécessiteront une réponse rapide et globale. L’expérience récente de l’ouragan Katrina, par exemple, a montré que c’est le secteur public qui doit être prêt à passer à l’action. Un corps d’emplois publics organisés et prêts à l’emploi pourrait réagir avant, pendant et après une crise. Les travailleurs EDR peuvent fortifier les prélèvements et évacuer les résidents à l’avance, et ils peuvent reconstruire les ports, les jetées et d’autres infrastructures indispensables dans les zones dévastées et les communautés saines submergées par une population en migration. Vanden Heuvel (2005) a appelé à un nouveau « New Deal » pour reconstruire la Nouvelle-Orléans. C’est le genre de travail que les travailleurs de l’EDR peuvent accomplir.
Dans de nombreux pays développés, l’infrastructure s’effrite. Par exemple, en 2007, un pont routier sur huit aux États-Unis présentait des déficiences structurelles et près d’un sur sept était fonctionnellement désuet (Department of Transportation 2007). Dans une grande partie du monde sous-développé, l’absence d’infrastructures constitue un obstacle majeur au développement économique. Un programme d’EDR peut entreprendre la réparation et la construction d’infrastructures au niveau requis. En résumé, un EDR bien structuré peut démontrer que le plein emploi n’entre pas en conflit avec la durabilité environnementale ; il peut, en fait, l’améliorer.
5.3 Aspects environnementaux de la GRB
Les résultats écologiques de la politique GRB ne découleront probablement pas de la fourniture d’un revenu minimum garanti, mais des diverses propositions avancées pour son financement qui reposent sur l’utilisation des ressources et les taxes sur la pollution. Il existe de nombreuses politiques d’utilisation équitable des terres et d’allocation égalitaire des ressources, sous les noms de Sky Trust, Alaska Permanent Fund et Earth Dividend, pour n’en nommer que quelques-uns. Chacune d’entre elles représente soit l’égalité d’accès de tous les citoyens aux ressources de la terre (Earth Dividend) ou aux profits générés par l’utilisation de ces ressources (Sky Trust et Alaska Permanent Fund). Toutefois, ces programmes ne sont pas les mêmes que la GRB dont il est question ici. Certains chercheurs ont proposé que la GRB soit financée par la pollution ou d’autres taxes écologiques (p. ex. Van Parijs, 1995). Ce que je soutiens ici, c’est que le programme de réforme fiscale que les partisans de la GRB suggèrent peut être une caractéristique essentielle de toute politique de réforme sociale. Cependant, les taxes sur les ressources ou la pollution ne devraient pas être conceptualisées comme des instruments de financement pour la GRB. En effet, si les partisans du programme GRB insistent pour que la pollution ou toute autre taxe sur les ressources ou sur l’environnement « paient » pour le programme GRB, la politique sera autodestructrice, étant donné qu’on ne peut compter sur l’impôt fondé sur les ressources naturelles pour fournir le revenu qui permettra de procurer le niveau de vie minimum nécessaire.
Une taxe fondée sur les ressources vise à décourager l’utilisation d’une ressource particulière. En ce qui concerne les taxes sur la pollution ou l’utilisation des ressources, la politique fiscale la plus efficace est celle qui parvient à générer le moins de recettes, c’est-à-dire celle qui a dissuadé la pollution ou l’épuisement de la ressource. Lier la GRB à une telle taxe signifierait soit : 1) lorsque la taxe réussit à protéger l’environnement, des recettes suffisantes ne sont pas générées pour couvrir tous les bénéficiaires ou que 2) la taxe est inefficace, et qu’il peut y avoir davantage de pollution et d’abus environnementaux afin de générer des recettes suffisantes pour couvrir la GRB. Dans ce dernier cas, surtout si la GRB est très populaire, il peut même y avoir une incitation perverse à subventionner, par exemple, la production pétrolière, de sorte que sa production accrue puisse être taxée par la suite afin de maintenir la « solvabilité » du fonds GRB.
En résumé, une politique budgétaire environnementale est un objectif politique important, mais ce serait une erreur de structurer la GRB ou l’EDR comme dépendant des taxes écologiques pour leur financement. Si, par exemple, une « mauvaise » utilisation des ressources est taxée (comme la pollution ou le forage pétrolier) et que les fonds sont investis dans une « bonne » utilisation des ressources (par exemple la production d’énergie solaire ou éolienne), à long terme, il y aura une plus grande incitation à passer d’une énergie sale à une énergie propre. Toutefois, ces fonds ne pourront pas assurer le niveau de vie minimum requis, comme l’a démontré le Fonds permanent de l’Alaska, par exemple, lorsque les paiements individuels n’ont jamais dépassé 2000 $ par personne par année. Un tel » fonds » peut être une politique environnementale efficace, mais pas une politique de revenu de base efficace.[13] Encore une fois, la proposition de ce document est que si le revenu de base ne peut procurer le niveau de vie minimum pour tous, la politique n’est ni efficace ni juste.
En résumé, pour les partisans de la GRB, l’objectif primordial est d’assurer un revenu et les conséquences « vertes » devraient en découler naturellement. Cependant, il semble plus plausible que les bénéfices environnementaux de la GRB proviennent des mécanismes fiscaux discutés et non de la fourniture de revenus à tous. En revanche, pour les défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels, il est essentiel de garantir le plein emploi en créant des emplois ciblés dans des domaines qui réparent, soutiennent et améliorent l’environnement. Les activités respectueuses de l’environnement sont explicitement intégrées dans la structure institutionnelle des emplois EDR. Comme il n’y a pas de contraintes opérationnelles pour le financement de l’une ou l’autre politique, la réforme fiscale à des fins environnementales est une toute autre affaire – un objectif louable en soi.
6. LA VOIE VERS LA PARTICIPATION ET LA PROMESSE D’UNE PROPOSITION CONJOINTE
Étant donné que l’objectif est de pourvoir aux besoins de tous les membres de la société, et pas seulement de la population économiquement active, une proposition commune est nécessaire. Toutefois, pour être économiquement viable et respectueux de l’environnement, il doit comporter plusieurs ingrédients clés. Premièrement, il doit lier la fourniture d’un revenu au travail dans la fonction publique sous la forme d’un salaire horaire fixe. Deuxièmement, il doit fournir un soutien du revenu inconditionnel aux jeunes, aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Troisièmement, il doit être soigneusement structuré en fonction des conditions biophysiques de l’environnement et soutenir la préservation, la réhabilitation et le renouvellement de l’environnement.[14]
Une telle proposition est souhaitable, car l’inactivité, notamment due au chômage involontaire, a des conséquences profondes qui dépassent la seule dimension d’une perte de revenu (Sen 1999). Par conséquent, l’accent mis par la GRB sur la fourniture d’un revenu à lui seul n’apportera pas la solution nécessaire. En revanche, le souci de stabilité monétaire de l’EDR ne doit pas primer sur l’objectif de création de « bons » emplois. Compte tenu des nombreux objectifs communs que partagent les garanties de revenu et d’emploi, une proposition conjointe respectueuse de l’environnement est une alternative prometteuse pour assurer le niveau de vie requis à tous.
Il existe de nombreuses sources que nous pouvons consulter lors de la conception d’une telle proposition. Par exemple, le revenu de participation d’Atkinson (1995) et le minimum civique de White (2003) offrent certaines possibilités de marier l’EDR avec la GRB [15]. Ces propositions soulignent la nécessité de définir le travail de façon très large, de favoriser l’inclusion sociale, de renforcer le capital humain et d’améliorer la « situation socioéconomique » globale (Clark 2003 ; Fitzpatrick 2003). La discussion de Minsky (1986) sur la » voie de la participation » fournit également certains des ingrédients d’une telle politique commune. Pour lui, la voie de la participation passe par la création de programmes permanents dont l’objectif principal est de fournir » des services publics, des améliorations environnementales… ainsi que la création et l’amélioration des ressources humaines « .
Ce document expliquait les impératifs économiques qui rendent nécessaire de lier la prestation de revenu horaire à une heure de travail public. Néanmoins, cette caractéristique coercitive gênera toujours les défenseurs de la GRB, de sorte que le défi consiste à concevoir une proposition qui améliore la liberté individuelle en permettant aux gens de déterminer leurs propres activités. Une façon d’y parvenir est de permettre aux individus de choisir, et même de définir, le type d’activités qu’ils souhaitent réaliser. Bien que l’implication dans la communauté soit obligatoire, le type de travail effectué ne l’est pas.
Pour voir comment cela peut être réalisé, on peut se reporter au programme de garantie d’emploi qui a été récemment mis en œuvre en Argentine.[16] Bien que ce programme ne soit accessible qu’aux chefs de ménage sans emploi, il offre des indications pour la conception d’une politique commune. Le programme argentin (habituellement appelé Jefes) visait à lutter contre la pauvreté, le chômage et les bouleversements sociaux massifs qui ont suivi la crise de 2001-2002.
Après la décision de financer la garantie d’emploi, le gouvernement fédéral n’a fourni que les lignes directrices générales pour l’administration du programme. La gestion et l’administration proprement dites se faisaient au niveau local. Les municipalités ont évalué les besoins généraux de leurs communautés et leurs ressources disponibles. Par la suite, ils ont lancé des appels d’offres pour des projets précis qui fourniraient les biens et services dont les collectivités avaient le plus besoin.
Le plan Jefes a en fait été conçu comme une forme de revenu de base. Après avoir enregistré tous les chefs de ménage au chômage, ils ont immédiatement commencé à percevoir un revenu. Au cours de la période de transition, beaucoup n’ont pas fonctionné, car il a fallu un certain temps pour concevoir, approuver et mettre en œuvre les projets proposés. Cependant, le programme a été mis en place et a fonctionné en quatre mois, et peu de temps après, les bénéficiaires ont commencé à occuper les emplois nouvellement créés dans le secteur public.
En fait, la plupart des activités réelles ont été conçues et proposées par des ONG, des organisations gouvernementales locales, des mouvements ouvriers et les chômeurs eux-mêmes. Mais ils ont eu les débats publics et le soutien institutionnel qui leur ont permis de s’engager dans le genre d’activités qu’ils souhaitaient faire. Parce que la nutrition était une priorité absolue dans les communautés les plus pauvres, beaucoup de ces projets comprenaient des cuisines communautaires, des boulangeries ou des pâtisseries. D’autres projets ont converti des parcelles auparavant stériles en terres arables, où les bénéficiaires ont créé leurs propres agro-coopératives. D’autres encore se concentraient uniquement sur l’assainissement et le recyclage des sites d’enfouissement. Dans certaines des zones les plus pauvres, les habitants s’étaient organisés en masse pour recycler le carton et le plastique des grandes décharges de Buenos Aires. Certains projets ont utilisé du plastique recyclé pour fabriquer des jouets et des décorations d’arbres de Noël, d’autres ont collecté et réparé des livres et des vêtements anciens et déchirés provenant de quartiers plus riches pour les distribuer aux centres communautaires nouvellement construits dans les quartiers les plus pauvres.
Les sondages officiels auprès des participants au programme indiquent que le fait d’avoir un revenu n’est pas l’une des principales raisons de leur satisfaction à l’égard du plan Jefes. Les bénéficiaires aiment participer au programme parce qu’ils ont l’occasion de » faire quelque chose « , de travailler dans un » bon environnement « , d' » aider la communauté » et d' » apprendre » (figure 1).

En d’autres termes, il est possible de concevoir un programme qui garantira un revenu à tous, mais qui exigera que les personnes valides participent au travail communautaire. Un tel programme peut être structuré de manière à donner aux gens une grande liberté (sous réserve de certaines lignes directrices générales) pour déterminer le genre de travail communautaire qu’ils aimeraient accomplir. De telles activités peuvent inclure non seulement l’aide à la communauté, mais aussi l’engagement dans des activités artistiques individuelles. De tels programmes peuvent également être motivés par des préoccupations environnementales.
En mariant le revenu de participation avec la garantie d’emploi, nous concevons une politique qui offre le véhicule institutionnel pour atteindre d’autres objectifs sociaux souhaitables. Qu’il s’agisse de nettoyage environnemental, de reboisement ou de recyclage, qu’il s’agisse d’aider les jeunes parents en matière de planification familiale ou de s’attaquer aux problèmes de violence familiale, de violence conjugale et envers les enfants et de taux de décrochage scolaire chez les hommes, les emplois du secteur public peuvent servir à régler ces problèmes. En fait, l’Argentine fournit de nombreux exemples de projets du secteur public qui traitent de tout ce qui précède. Une fois que le cadre institutionnel du travail communautaire est établi, il peut être orienté vers d’autres problèmes sociaux.
Enfin, une politique commune connaîtra un succès durable si elle est motivée par la conscience que le travail précieux n’est pas seulement ce qui est rentable, mais aussi ce qui est socialement utile et écologiquement durable. En d’autres termes, les activités de ce programme viseront un provisionnement social adéquat et non un but lucratif. La « production destinée à être utilisée » dans le secteur public ne concurrencera pas la « production à but lucratif » du marché privé. Les emplois gouvernementaux fourniront des services qui ne sont pas actuellement du ressort des entreprises à but lucratif, comme le nettoyage environnemental, la garde d’enfants, les soins aux personnes âgées, les refuges pour sans-abri, les cuisines communautaires, et autres.
7 CONCLUSION
La dichotomie entre les politiques qui ciblent » uniquement le revenu » ou » uniquement l’emploi » n’est plus constructive. Un filet de sécurité efficace doit fournir à la fois une source de revenu garantie et une source garantie de possibilités d’emploi dans le cadre d’activités significatives qui améliorent la vie. Dans une économie de production monétaire, cependant, il est important de lier l’apport d’un revenu à la participation à la communauté pour tous ceux qui sont en mesure d’y contribuer. De cette façon, la situation socio-économique est améliorée en créant une politique économiquement viable qui stabilise le niveau des prix et le cycle économique, tout en renforçant le sens du travail et la liberté individuelle.
La question de savoir si les garanties universelles ont une chance dépend en grande partie de la volonté politique et de l’idéologie dominante, mais la première étape consiste à en apprécier pleinement les conséquences macroéconomiques et les aspects institutionnels. Nous pourrons alors passer de manière constructive à la conception de garanties universelles économiquement viables et respectueuses de l’environnement dans l’intérêt public.
NOTES
[1] Il existe de nombreuses incarnations de la garantie de revenu de base. Revenu de base partiel et impôt sur le revenu négatif (NIT), par exemple, ne seront pas abordés ici parce qu’elles sont, respectivement, soit déficients pour se procurer le niveau de vie minimum, soit subordonnés à la participation au marché du travail. Le revenu de base total, en revanche, est de celui qui est fixé au niveau de subsistance (Van Parijs 1992) ou au seuil officiel de pauvreté (Clark 2004), bien que pour Van Parijs, la maximisation des opportunités individuelles et de la liberté exige qu’elle soit fixée au plus haut niveau soutenable (Van Parijs 1992, 1995, 2004).
[2] Il existe un large consensus général sur l’objet et la conception de ces programmes (p. ex. Harvey 1989 ; Wray 1998 ; Mitchell 1998). Bien que l’histoire regorge de programmes de création directe d’emplois, ils ont tendance à être d’une durée limitée et soumis à des tests punitifs de ressources – deux caractéristiques auxquelles les partisans de la garantie d’emploi s’opposent fortement.
[3] Voir, par exemple, les débats entre Clark (2003) et Harvey (2003).
[4] Ce travail s’inscrit en grande partie dans l’approche moderne de la devise, également connue sous le nom de chartalisme, de néochartalisme, de monnaie axée sur les impôts, ou de devise en tant que créature de l’État. L’approche est plus étroitement associée aux écrits de George. F. Knapp ([1924] 1973) et Abba. P. Lerner (1947), mais trouve un appui dans une grande partie de la littérature économique, allant d’Adam Smith à J. M. Keynes (pour une étude détaillée du chartalism, voir Tcherneva 2006b).
|5] Il a également été démontré que les obligations ne » financent » pas non plus les dépenses publiques. Les ventes d’obligations maintiennent le taux d’intérêt cible en drainant les réserves excédentaires de monnaie de haute puissance (MHP), qui ont été créées grâce aux dépenses gouvernementales (Wray 1998 ; Mosler 1997-98 ; Bell 2000).
[6] Notes de Wray (2003) : « Si l’État se contentait de remettre de la MPH sur demande, sa valeur serait proche de zéro, car n’importe qui pourrait s’acquitter de ses obligations fiscales simplement en demandant de la MPH. »[6]
[7] Mitchell et Watts (2004) soutiennent également que la stagflation est un résultat probable en raison de la redistribution prévue des revenus et de la détérioration de l’incitation à investir causée par la politique GRB.
[8] Voir aussi Abba Lerner (1947), dont la proposition de « finance fonctionnelle » confirmait que la politique ne devait pas être guidée par des notions obsolètes de « saine finance », mais par l’effet de la finance sur l’activité économique.[8]
[9] Employeur de Dernier Resort (EDR) est la terminologie de Minsky, qui est utilisée tout au long de ce document comme terme générique pour les garanties d’emploi direct.
[10] En fait, si le secteur non gouvernemental affiche un excédent, c’est-à-dire qu’il détient des actifs financiers nets, le secteur public (selon son identité comptable) affichera un déficit.
[11] Il y a eu une certaine confusion au sujet du fonctionnement de l’EDR (Sawyer 2003). Il est important de noter que l’EDR élimine le chômage en offrant un emploi à toute personne désireuse et capable de travailler, et non en augmentant la demande globale. Bien que le programme puisse entraîner une hausse de la demande globale, il n’est pas nécessaire que ce soit le cas. Le gouvernement peut éliminer le chômage par l’entremise de l’EDR tout en réduisant ses dépenses au titre d’autres programmes et en augmentant les impôts. Cette recommandation n’est guère souhaitable, mais elle montre que l’EDR peut éliminer le chômage face à la baisse de la demande globale. Elle le fait en offrant un emploi, et non en « amorçant la pompe » (pour plus de détails, voir Mitchell et Wray 2005).[11]
[12] Bien qu’il n’y ait pas de consensus sur ce résultat.
[13] Même ce résultat est discutable. Le Fonds permanent de l’Alaska, par exemple, investit ses revenus pétroliers dans un portefeuille d’actifs, dont bon nombre proviennent d’industries qui ne sont pas écologiques. Le versement de dividendes à l’Alaska est donc lié à la rentabilité de ces industries.
[14] Pour une explication de ces conditions biophysiques, voir Forstater (2004).
[15] Fitzpatrick (2003), Galston (2001) et Anderson (2001), entre autres, appuient une certaine conditionnalité selon laquelle le bénéficiaire du revenu de base doit avoir une obligation réciproque.
[16 ] Les détails institutionnels et les effets macroéconomiques de ce programme ont été examinés en détail dans Tcherneva et Wray (2005b).
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Article original : levyinstitute
Illustration : Air-France
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