24 mars 2020
Traduction par Robert Cauneau – MMT France
La crise du coronavirus cause des ravages économiques. Dans cet article, Warren Mosler et Dirk Ehnts discutent des propositions politiques qui s’inspirent de la Théorie Monétaire Moderne (MMT).
Dirk Ehnts est assistant de recherche à la Faculté d’économie de l’Université technique de Chemnitz, en Allemagne. Il est titulaire d’un doctorat en économie et a travaillé à la Berlin School of Economics, à l’Université libre, à l’Université de Flensburg, à l’Université d’Oldenburg et au Bard College Berlin. Il est l’auteur de « Modern Monetary Theory and European Macroeconomics » et porte-parole de la Pufendorf-Gesellschaft für politische Ökonomie e. V.
Warren Mosler est un économiste américain et un ancien négociateur de titres à revenu fixe, gestionnaire d’investissements, propriétaire de petites banques, constructeur automobile et candidat politique. Il est également à l’origine de la compréhension monétaire de ce qui est devenu populaire sous le nom de « Modern Money Theory » (MMT).
La théorie monétaire moderne (MMT) a reconnu dès le départ que la monnaie d’aujourd’hui et ce que l’on appelle les ressources réelles – biens et services – sont deux choses différentes, et que la monnaie est nécessairement à volonté à la disposition de l’État – sans coût ni limite – dans la mesure où les banques centrales créent des dépôts en frappant sur des touches. En outre, les limites des dépenses totales résident dans la disponibilité des ressources offertes à la vente, les dépenses dépassant ces limites entraînant une hausse des prix (y compris des salaires), ce que l’on appelle communément l’inflation.
Après 25 ans d’écrits, de recherches et de preuves, il semble maintenant que la MMT soit le nouveau consensus. Nous considérons les affirmations suivantes comme pertinentes :
a. Les ressources sont limitées, et sujettes à être gérées (« planification économique »).
b. Les obligations fiscales créent des vendeurs de biens et de services désirant de la devise de l’État en contrepartie.
c. Cela permet à l’État de s’approvisionner par la dépense de sa devise, qui est par ailleurs sans valeur.
d. L’État et ses agents sont la seule source des fonds nécessaires pour payer les impôts.
e. Les banques centrales sont des agents de l’État ; elles peuvent créer des soldes de comptes – de la monnaie – par simple pression sur un bouton.
f. Les devises d’aujourd’hui sont les crédits d’impôt exigés par les États pour le paiement des impôts.
g. La dette publique est déjà « la monnaie » – les soldes des comptes de la Banque centrale dépensés par l’État qui n’ont pas encore été utilisés pour payer des impôts – et ce que l’on appelle le « remboursement de la dette publique » n’est que le déplacement de ces soldes entre les comptes de la Banque centrale.
h. La capacité de paiement de l’État n’est pas un problème. C’est entièrement une question de volonté de payer.
i. L’inflation n’est pas causée par une augmentation des agrégats monétaires en soi.
j. La devise est un simple monopole public, et donc le niveau des prix est entièrement fonction des prix payés par l’État lorsqu’il dépense.
k. Le capitalisme est alimenté par les ventes des agents à la recherche du profit, dont beaucoup utilisent la dette pour se financer et font donc face à des sorties de fonds permanentes (intérêts et capital) qui peuvent être reportées dans le futur par une augmentation de la dette.
l. Les preuves historiques et la théorie nous disent que si la politique de la BCE est essentielle pour maintenir la solvabilité des pays membres, elle n’est pas un instrument utile pour soutenir la production, l’emploi ou pour atteindre les objectifs d’inflation.
En bref, il s’agit là d’un dénominateur commun qui éclaire les propositions politiques. La crise du coronavirus pose des problèmes médicaux, économiques et financiers. La menace médicale de premier ordre est la maladie et la mort généralisées. Cela perturbe la production. Les usines sont fermées, les travailleurs sont licenciés. Le secteur capitaliste ne peut pas fonctionner sans ventes, salaires ou profits. Comme les gens sont obligés de rester chez eux, leur demande de biens et de services diminue. Les entreprises ne peuvent donc plus vendre leurs produits. La menace de faillite entraîne des licenciements, ce qui crée un cercle vicieux car les revenus des travailleurs dans leur ensemble diminuent et les dépenses se réduisent encore.
La solution pour soutenir la production qui dispose de suffisamment de main-d’œuvre consiste à maintenir les dépenses totales de l’économie ainsi que les revenus. La capacité à assurer le service de la dette soutient le secteur financier.
Dans le même temps, une crise des actifs financiers est en cours. Les prix du marché des actifs financiers sont déterminés par les investisseurs qui font des suppositions sur l’avenir. Il existe un large consensus sur le fait que l’avenir sera comme le présent et le passé – c’est pourquoi les prix sont basés sur des conventions. Aujourd’hui, nous ne savons pas si les entreprises existeront l’an prochain, car leurs ventes et leurs bénéfices s’effondrent. Cette incertitude radicale est non stochastique, ce qui signifie que nous ne pouvons pas attacher de probabilités aux événements possibles parce que nous ne pensons pas que le passé puisse nous aider à comprendre l’avenir. Un effondrement des prix des actifs et l’effondrement du système financier qui s’ensuivrait détruiraient la richesse financière, gèleraient les prêts bancaires et entraveraient le fonctionnement rentable du système de crédit. Et comme un pourcentage important des ventes dépend du crédit, l’économie recule encore.
La crise doit être traitée par l’État. La devise étant un monopole public, la notion d’autorégulation du marché est inapplicable d’une manière significative.
Nos propositions abordent la crise sur le plan de la production, de la demande et du secteur financier. Elles visent à stabiliser la demande en soutenant le niveau souhaité de services du secteur public tout en offrant un soutien aux entreprises du secteur privé en difficulté jugées d’une importance stratégique jusqu’à ce que la production se rétablisse. Sur le plan financier, nous stabilisons le système de paiement et les finances des entreprises afin d’assurer une reprise ordonnée. Voici nos propositions :
- Augmenter la limite du déficit de Maastricht de 3 % à 13 % afin de donner aux États nationaux une marge de manœuvre budgétaire pour la gestion de la crise et la stabilisation de la demande.
- Nationaliser les entreprises en difficulté financière jugées stratégiquement importantes pour la promotion de l’intérêt public, y compris les entreprises de transports, de production, celles qui produisent du matériel médical, en prenant le contrôle des actionnaires et des directeurs et en assumant toutes les dépenses et les revenus d’exploitation, comme dans le cas d’une faillite. La direction et les employés de l’entreprise peuvent être laissés en place, si l’on estime que cela sert l’intérêt public. La crise n’est peut-être pas la faute des actionnaires, mais c’est un risque qu’ils prennent lorsqu’ils investissent.
- Nationaliser les hôpitaux privés, les compagnies aériennes et les fournisseurs (potentiels) de biens et d’instruments médicaux lorsque la gestion ne fonctionne pas comme il se doit pour servir l’intérêt public.
- Établir un revenu minimum de retraite de 1 000 à 1.500 euros par mois pour soutenir les personnes âgées*.
- Augmenter l’indemnité de chômage minimale à 750-1.500 euros par mois et la mettre à la disposition de tous les chômeurs sans restriction.*
- Offrir des emplois financés par la BCE par l’intermédiaire d’organisations à but non lucratif qualifiées afin de leur permettre d’employer toute personne désireuse et capable de travailler pour un salaire de 500 à 1 500 euros*.
- Mettre en place une garantie permanente et juridiquement contraignante de la BCE sur la dette publique de tous les pays membres.
- S’engager dans une politique à long terme de taux zéro de la BCE.
- Établir des plafonds de loyer qui reflètent les taux de location actuels, ainsi qu’une suspension des résiliations de baux forcées, des poursuites pour retard de paiement et des expulsions.
- Compléter avec des propositions de Green New Deal pour éliminer les émissions indésirables et accompagner une croissance durable.
*selon le pays de la zone euro.
(Warren Mosler a également publié une proposition pour les États-Unis via son compte Twitter).
Article original et Illustration : https://braveneweurope.com