Rites de passage
par
Warren Mosler
01/05/2001
Traduction par Robert Cauneau – MMT France
L’enfant du consensus
Conçue dans la politique d’après-guerre et baptisée dans les eaux politiques des années 90, une nouvelle monnaie commune, l’euro, a pris ses fonctions le 1er janvier 1999 et les représentants des pays candidats sont parvenus à un consensus politique magistral, par l’absence de clauses répréhensibles et par l’inclusion de contraintes nationales, comme le prévoit le Traité de Maastricht. Au cours de ce processus tumultueux, avec une grande fierté, les anciens ont saisi et protégé le talon sensible au crédit de l’euro naissant : la directive » pas de renflouement » pour la nouvelle BCE (Banque centrale européenne) est apparue comme un pilier de l’impératif politique pour traiter la question du » risque moral » qui préoccupait tant les dirigeants politiques ? Deux ans plus tard, cette même rhétorique de la responsabilité budgétaire continue à retentir au moins autant lorsque l’on clame avec force le mérite de l’UEM (Union monétaire européenne). Malheureusement, même s’il est bien conçu comme une protection contre une propension génétique à l’irresponsabilité fiscale, le talon nu n’est qu’un aimant pour les flèches du marché financier qui a provoqué la mort de notre héros.
Alors que le char d’Apollon porte habilement sa conflagration d’est en ouest, l’Union monétaire européenne porte ses membres sur la voie de la croissance économique. Et, comme le panneau que la plupart des agences de location de voitures affichent à l’entrée pour les voitures de retour sur le point de rouler sur une bande à sens unique, la nouvelle UEM, avec son biais unidirectionnel caché, pourrait rendre service à ses membres avec un affichage similaire – ATTENTION- NE RECULEZ PAS !
La dynamique de l’instabilité
Les pays de la zone euro-12 avaient autrefois des systèmes monétaires indépendants, tout à fait semblables à ceux des États-Unis, du Canada et du Japon aujourd’hui. Dans le cadre de l’UEM, toutefois, les gouvernements nationaux sont désormais considérés financièrement comme des États, des provinces ou des villes de la nouvelle union monétaire, comme la Californie, l’Ontario et la ville de New York. Les anciennes banques centrales nationales ne sont plus les émetteurs de leur monnaie locale. A leur place, l’UEM a ajouté une nouvelle banque centrale, la BCE, pour gérer le système de paiement, fixer le taux du financement au jour-le-jour et intervenir sur le marché monétaire lorsque cela est nécessaire. Le Parlement européen dispose d’un budget relativement restreint et de responsabilités fiscales limitées. La plupart des fonctions et des responsabilités gouvernementales demeurent au niveau national, n’ayant pas été transférées au nouveau niveau fédéral ; deux de ces responsabilités qui s’avéreront les plus problématiques au niveau national sont l’indemnisation du chômage et la garantie des dépôts bancaires. En outre, tous les engagements financiers nationaux antérieurs demeurent au niveau national et ont été convertis en euros, avec le ratio de la dette par rapport au PIB des pays membres pouvant atteindre 105 %, sans compter les engagements non provisionnés importants et croissants, qui sont tous beaucoup plus élevés que ce que les marchés du crédit permettent habituellement de financer aux États, provinces ou villes.
Depuis leur création, il y a un peu plus de deux ans, les gouvernements des pays de la zone euro-12 ont connu une croissance modérée du PIB, une baisse du chômage et une croissance modérée des recettes fiscales. Les déficits budgétaires se sont réduits et ont pratiquement disparu à mesure que les recettes fiscales augmentaient plus vite que les dépenses et que le PIB augmentait à un rythme plus rapide que les dettes publiques, de sorte que les ratios de la dette au PIB ont quelque peu diminué. Dans ces circonstances, les investisseurs ont continué à soutenir les besoins de financement nationaux et il n’y a pas eu de défaillances importantes des banques. En outre, il est raisonnable de supposer que tant que ce modèle de croissance se poursuivra, le financement sera facilement disponible. Toutefois, si le ralentissement actuel de l’économie mondiale devait conduire l’euro-12 à une croissance négative, à une baisse des recettes fiscales et à des inquiétudes quant à la santé financière du système bancaire, l’euro-12 pourrait être confronté à une crise de liquidité à l’échelle du système, tandis que les forces du marché pourraient également exacerber la spirale baissière en contraignant les gouvernements nationaux à agir de manière procyclique, soit en réduisant leurs dépenses nationales soit en essayant d’augmenter leurs recettes.
Pour se faire une idée de la nature et de l’ampleur des difficultés potentielles, on peut examiner la crise de l’épargne et des prêts aux États-Unis dans les années 80, à la différence près que l’assurance-dépôts aurait été une obligation des États plutôt qu’une responsabilité fédérale. Par exemple, on pourrait se demander comment le Texas aurait pu s’en sortir face à une facture de quelque 100 milliards de dollars pour couvrir les pertes bancaires et racheter les déposants. Et, une fois qu’il a été révélé que l’État n’aurait pas le pouvoir d’emprunter des fonds pour préserver les comptes garantis des déposants, comment une banque aurait-elle pu se financer ? Plus récemment, si l’assureur des dépôts et prêteur en dernier ressort de la Bank of America était l’État de Californie plutôt que la Réserve fédérale, aurait-il pu se financer sous le nuage financier de la crise énergétique et de la dégradation de la cote de crédit de l’État ? Sinon, cela aurait-il déclenché une crise générale de liquidité au sein du système bancaire américain ? En l’absence d’assurance-dépôts et de responsabilité de prêteur de dernier ressort, l’obligation légale d’une entité sans contrainte de crédit, comme la Réserve fédérale, n’y a-t-il jamais de risque financier systémique ?
L’instabilité inhérente peut s’exprimer par une série de questions :
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L’économie de l’euro-12 ralentira-t-elle suffisamment pour accroître automatiquement les déficits nationaux par la réduction des recettes fiscales et l’augmentation des paiements de transfert ?
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Un tel ralentissement amènera-t-il les marchés à dicter les conditions de crédit au crédit des gouvernements nationaux sensibles, et à forcer des réponses procycliques ?
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Le ralentissement entraînera-t-il la faillite de banques locales ?
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Les marchés vont-ils permettre aux gouvernements nationaux lourdement endettés, aux revenus en baisse et aux dépenses en hausse, d’obtenir le financement nécessaire pour soutenir les banques en difficulté ?
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Les déposants vont-ils perdre confiance dans le système bancaire et tester le nouveau mécanisme de soutien euro-12 ?
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L’ensemble du système de paiement peut-il éviter un arrêt lorsqu’il est confronté à ce besoin de réorganisation ?
Conclusion
L’eau gèle à 0°C. Mais l’eau très calme peut être refroidie bien en dessous de ce niveau et rester liquide jusqu’à ce qu’un catalyseur, tel qu’une brise soudaine, la solidifie instantanément. De même, les conditions d’une crise de liquidité nationale qui mettra un terme au système monétaire de l’euro-12 sont fermement en place : il suffit d’un ralentissement économique qui menace soit les recettes fiscales, soit le capital du système bancaire.
Un avenir financier prospère appartient à ceux qui respectent la dynamique et sont préparés pour le jour du jugement. L’histoire et la logique dictent que les gouvernements nationaux et le système bancaire sensibles au crédit de l’euro-12 seront testés. Les flèches du marché vont infliger une crise de liquidité initialement étroite, qui va immédiatement infecter et arrêter rapidement l’ensemble du système de paiement en euros. Seule l’intervention directe inévitable, actuellement interdite, de la BCE sera capable d’assurer la résurrection, et du feu de cette étoile flamboyante tombée, une monnaie souveraine immortelle émergera sans aucun doute.
Texte original : http://moslereconomics.com/wp-content/uploads/2018/04/Rites-of-Passage.pdf
Image : http://leventredeparis.fr/meteo-a-lenvers/le-desert-des-tartares/