MMT : La monnaie en tant que monopole public

Matériel de Lecture Imposé

pour le Séminaire du 19 mars 2014 de Warren Mosler, professeur invité à

l’Université de Bergame, Département DAEMQ, Conférences d’économie monétaire internationale – (partie du cours enseignée par Stefano Lucarelli)

Traduction par Robert Cauneau – MMT France

Énoncé de l’objectif

Le but de cet article est de présenter la Mosler Economics/Modern Monetary Theory (MMT) à la communauté universitaire italienne. Il commence par un bref historique de MMT, suivi d’une description des aspects distinctifs de MMT et de leur application.

[NdT : dans la version originale du texte, le sigle ME/MMT est utilisé. Il a semblé plus simple d’utiliser le sigle MMT, qui parlera beaucoup plus au lecteur]

Introduction

Warren Mosler, après avoir obtenu son Bachelor en économie en 1971, entra dans le secteur financier en 1973 comme agent de recouvrement dans une petite banque d’épargne. En 1976, il devint vice-président adjoint au Banker’s Trust NYC à leur « comptoir des obligations » avant de partit pour Chicago en 1978, où il créa le service des obligations d’État pour William Blair and Co. En 1982, il cofonda Illinois Income Investors, une société d’investissement internationale spécialisée dans les stratégies d’investissement à revenu fixe en valeur relative, et AVM, broker/dealer institutionnel. En 1993, il écrivit ‘Soft Currency Economics’ avec l’aide éditoriale des professeurs d’économie Mark McNary et Arthur Laffer, ce qui fut le début de ‘Mosler Economics (ME)’. En 1996, la professeure Pavlina Tcherneva, alors étudiante en licence, publia un article qui montrait comment la « Soft Currency Economics » était en fait une extension de l’école de pensée post-keynésienne (PK) existante :

« Dans son essai intitulé Soft Currency Economics, il puise dans son expérience de praticien des marchés financiers pour analyser les forces sous-jacentes à l’œuvre dans un système monétaire moderne. Il est intéressant de noter que cette analyse intègre plusieurs postulats qui peuvent être considérés comme des prolongements logiques de la pensée monétaire post-keynésienne. Considérant le fait qu’il n’avait pas eu de contact avec l’école de pensée post-keynésienne avant de rédiger son article, il est fascinant de voir les similitudes frappantes entre les aspects importants de son analyse et la théorie monétaire post-keynésienne. En outre, les travaux de Mosler méritent d’être sérieusement pris en considération en raison de ses précieuses connaissances concernant le système monétaire, qui ne sont pas actuellement au centre des préoccupations, ni du monde universitaire, ni des décideurs, ni du grand public. »

Cependant, plutôt que d’être intégrés par les post-keynésiens, Mosler et Soft Currency Economics ne furent pas bien reçus par eux, et le plus souvent rejetés, voire totalement ignorés. Parmi les rares personnes qui reconnurent les mérites de Soft Currency Economics, mentionnons les professeurs Bill Mitchell, Mat Forstater, L. Randall Wray, Stephanie Kelton et Pavlina Tcherneva qui, il y a quelques années, lorsque la théorie monétaire moderne (MMT) devint populaire, furent reconnus comme professeurs MMT.

En 1998, le professeur Alain Parguez, à l’origine de la théorie du circuit monétaire, incorpora les concepts MMT dans cette théorie, provoquant ainsi une division dans cette école de pensée, où de nombreux adeptes se considèrent également comme des post-keynésiens. Et le professeur Bill Mitchell, qui, en 1978, avait développé indépendamment le concept d’un stock tampon de main-d’œuvre employée, fut également rejeté par la communauté post-keynésienne australienne lorsqu’il commença à y intégrer les aspects monétaires des opérations de MMT.

Il y a quelques années, le journaliste italien Paolo Barnard découvrit MMT sur Internet. Après une étude approfondie, il cautionna son application à l’économie italienne et s’efforça de la vulgariser dans le but de rétablir le plein emploi et de s’engager en faveur de l’intérêt général.

En février 2012, se tint à Rimini la première conférence mondiale MMT de grande envergure, à laquelle participèrent quelques 2.180 personnes pendant deux jours. Barnard par la suite découvrit Warren Mosler, et son livre de 2010, « Les 7 fraudes mortelles de la politique économique ». Lorsque Mosler vint en Italie pour une présentation à Rimini en tant qu’invité de M. Giovanni Zibordi, il rencontra Barnard, qui organisa une présentation à Venise en présence de plus de 400 personnes. Ensuite, d’autres manifestations eurent lieu à Rimini et à Cagliari, auxquelles participèrent plus de 2.000 personnes. Dans le même temps, ce que l’on appelle aujourd’hui les « Cellules Activistes MMT », commencèrent à se former de manière indépendante dans toute l’Italie, travaillant pour renverser le cours d’une économie italienne qui souffre sévèrement de la politique d’austérité que l’UE continue à exiger. En juin 2013, une tournée fut organisée en Italie, avec 14 conférences de Warren Mosler et Paolo Barnard sur 14 jours, de la Sicile au nord de l’Italie, avec des présentations aux activistes et aux membres de la communauté en général. Les salles de chaque site étaient pleines à craquer, et jusqu’à 700 personnes ont pu assisté à ces événements de trois heures pour s’informer sur ce qui se passait dans l’économie italienne et sur la façon de le corriger. Plus récemment, M. Barnard popularisa MMT comme animateur à la télévision nationale italienne aux heures de grande écoute. Actuellement, il existe quatre associations qui font la promotion de MMT en Italie : Rete MMT, Euro Truffa, EPIC et MMTItalia.

La Monnaie en tant que Monopole Public

MMT se distingue par sa reconnaissance explicite que la monnaie elle-même est un monopole public, ce qui est le fondement de la monnaie fiat. MMT construit ensuite les ramifications de cette compréhension fondamentale. Il s’agit notamment, à titre logique, du fait que l’objet du monopole – en l’occurrence la monnaie – n’est pas nécessairement « neutre » ; qu’un monopoliste est « fixateur de prix » et non « preneur de prix » ; que le monopoliste a le choix de fixer le prix ou la quantité ; et, ce qui est essentiel à l’intérêt général, que le chômage est nécessairement la preuve qu’un monopoliste monétaire restreint la fourniture des actifs financiers nécessaires pour payer les impôts et pour satisfaire le désir d’épargne.

Keynes versus les classiques

Les économistes classiques ont avancé que, sans monopole, les marchés se libéreraient et qu’il n’y aurait pas de chômage de masse. En d’autres termes, seul un monopoliste, comme un Syndicat national, peut provoquer le chômage et la surcapacité en général. Keynes, en revanche, déclara que, même en l’absence de monopole, il pourrait y avoir un chômage de masse persistant, et ensuite il discuta des caractéristiques du système monétaire qui en sont la cause. À elle seule, cette impasse actuelle, qui se poursuit sans relâche dans le milieu universitaire depuis plus de 80 ans, est une preuve suffisante qu’aucune des parties n’a encore reconnu que la monnaie elle-même est le monopole en question.

La MMT reconnaît que les deux camps ont raison. Les classiques avaient raison de dire que c’était un monopole qui était la cause du chômage. Et Keynes avait raison de dire que ce sont les caractéristiques du système monétaire telles qu’il les décrit qui causent le chômage. Et la raison de ce désaccord persistant est simplement qu’aucune des deux parties n’a encore reconnu spécifiquement que la monnaie elle-même est un monopole qui cause le chômage en question. MMT se distingue ainsi par sa reconnaissance explicite que la monnaie elle-même est un monopole et que le chômage est la preuve que le monopoliste de la monnaie restreint l’offre. Plus précisément, le chômage (tel que défini) est la preuve que le monopoliste monétaire restreint l’offre d’actifs financiers nets libellés dans cette monnaie. Seules les dépenses (ou les prêts) de l’État apportent à l’économie les actifs financiers nécessaires au paiement des impôts, et les paiements au profit de cet État retirent ces actifs financiers de l’économie.

La devise comme crédit de taxe

MMT reconnaît que, avec la devise fiat, les fonds dépensés par l’État doivent être considérés comme des crédits de taxes. De même, les fonds que l’État dépense et qui ne sont pas utilisés immédiatement pour payer des impôts demeurent dans l’économie sous forme d' »épargne monétaire » jusqu’à ce qu’ils soient utilisés pour payer des impôts. En outre, ces crédits de taxe constituent ce que l’on appelle la « dette publique ».

Chômage

Le chômage est défini comme le fait que les personnes sans emploi cherchent un emploi rémunéré. Et c’est la taxation qui a pour fonction d’inciter les gens à chercher un emploi rémunéré, sans aucun doute pour faciliter le désir de l’État de s’approvisionner lui-même, ce qu’il fait en dépensant sa monnaie, par ailleurs sans valeur, pour embaucher ceux que sa monnaie a mis au chômage. De plus, comme nous l’avons mentionné précédemment, le revenu qui n’est pas utilisé pour payer l’impôt demeure une épargne monétaire. On peut donc dire que le chômage est nécessairement la preuve que les dépenses de l’État sont insuffisantes pour satisfaire le besoin de payer des impôts et le désir d’épargne. Et, par conséquent, un ajustement budgétaire est toujours un remède immédiat au chômage. En d’autres termes, l’État peut toujours recruter les personnes à la recherche d’un travail rémunéré, ou réduire l’impôt qui a entraîné le chômage.

MMT reconnaît en outre qu’un État qui émet des impôts et dépense ensuite ses propres crédits de taxes n’est pas limité sur le plan opérationnel. En fait, comme le révèlent les opérations de la banque centrale, l’État dépense (ou prête) nécessairement d’abord, dès le départ, et seulement ensuite perçoit les impôts ou emprunte. Dans la plupart des pays, les crédits d’impôt impayés (crédités mais non encore débités pour le paiement des impôts) existent, sur le plan fonctionnel, sous la forme de soldes de trésorerie et de soldes créditeurs à la banque centrale. Ces soldes sont communément appelés comptes de réserve et comptes de titres. Par conséquent, l’expression « rembourser » ne désigne rien d’autre que le débit des comptes de titres et le crédit des comptes de réserve, le tout sur les livres de la banque centrale. Donc, toute contrainte sur les dépenses est nécessairement auto-imposée et sujette à la révocation immédiate de l’État responsable des paiements. Ces contraintes comprennent généralement les limites budgétaires, les plafonds de la dette et les restrictions sur les opérations de trésorerie avec la banque centrale.

En s’appuyant sur cette compréhension fondamentale des opérations monétaires, MMT rejette les préoccupations financières courantes qui incluent le fait que l’État « manque de fonds » : l’État est dépendant de l’emprunt de sa propre monnaie pour pouvoir dépenser ; l’État fait face à des problèmes de solvabilité et ne peut pas effectuer des paiements futurs ; et que la dette nationale (les crédits de taxe en cours) représente un fardeau financier pour les générations futures.

La tarification monopolistique

Les monopolistes fixent deux prix. Ils fixent le prix de l’échange de leurs articles pour eux-mêmes, ce qu’on appelle le  » taux propre « , et ils fixent le prix de l’échange de leurs articles contre d’autres biens et services. Les conditions d’échange qu’ils fixent pour d’autres biens et services sont connues sous le nom de niveau des prix.

Pour un monopoliste de la monnaie, le taux propre est le taux d’intérêt qu’il fixe pour sa monnaie. Ce taux d’intérêt est généralement fixé par la banque centrale de l’État, le plus souvent par vote en commission. Il est ensuite mis en œuvre par l’intermédiaire du système bancaire, la banque centrale déterminant le coût des fonds pour ses banques membres. En tant que fournisseur monopolistique de soldes de compensation pour le système bancaire, la banque centrale peut soit payer des intérêts sur les encaisses de règlement excédentaires (aussi appelées réserves), soit prendre des mesures pour provoquer une pénurie de soldes de compensation, puis, directement ou indirectement, appliquer son taux directeur en imposant au système bancaire l’intérêt qu’elle exige sur les fonds nécessaires.

Le niveau des prix (que l’État le sache ou non) est nécessairement fonction des prix payés par l’État lorsqu’il dépense et/ou des garanties demandées lorsqu’il prête. Encore une fois, les fonds nécessaires au paiement des impôts proviennent uniquement des dépenses ou des prêts de l’État. Cela signifie que l’économie a besoin des fonds de l’État pour éviter les pénalités en cas de non-paiement des impôts, et c’est cette exigence qui met l’État dans la position de dicter les conditions de l’échange.

Dans une économie de marché, l’État n’a qu’à fixer un seul prix, communément appelé  » prix d’ancrage  » ou  » stock tampon « , et tous les autres prix deviennent alors des expressions de valeur relative. Il fut un temps, par exemple, où la plupart des États fixaient le prix de l’or comme point d’ancrage et laissaient tous les autres prix s’ajuster. Cependant, cette politique fut universellement abandonnée dans la mesure où elle ne réussit pas à promouvoir l’intérêt public. Actuellement, pour la plupart des pays, le point d’ancrage des prix est le chômage. Ce que MMT conclut, c’est qu’un stock tampon « emplois » est un point d’ancrage de prix bien supérieur à un stock tampon « chômage », ainsi que des externalités bien supérieures, tout cela dans l’intérêt public.

Les fondamentaux des échanges

MMT reconnaît que le travail est un coût réel et un intrant de production, et non un avantage économique comme on le suppose généralement. De même, les exportations sont des coûts économiques réels et les importations des avantages économiques réels. Par conséquent, la meilleure façon de servir l’intérêt général est d’optimiser les termes de l’échange réels au moyen d’une politique qui favorise le plus grand nombre possible d’importations pour un niveau donné d’exportations.

Conclusion

MMT présume que le rôle de l’État  est d’établir et de soutenir l’infrastructure publique à des fins d’intérêt général, et que la monnaie est un outil de l’État pour la promotion de l’intérêt général. En conséquence, ce que MMT offre, ce sont des propositions budgétaires et monétaires qui soutiennent les opportunités d’emploi pour toute personne désireuse et capable de travailler, et qui optimisent les termes de l’échange réels, le tout dans le but de soutenir un niveau de vie réel.

Warren Mosler, 24 février 2014, Christiansted, USVI

Texte original : Warren Mosler Bergamo paper March 2014.pdf

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