MMT aide déjà…

par

PAVLINA R. TCHERNEVA

27/02/2019

Traduction par Robert Cauneau – MMT France

 

En réponse à une critique de Doug Henwood, Pavlina Tcherneva plaide en faveur du pouvoir analytique et de la puissance politique de la Théorie Monétaire Moderne, MMT.


J’avais hâte de lire l’article de Doug Henwood et de saisir l’occasion de répondre à ce que je m’attendais être une critique analytique percutante. J’ai été déçue. Ma réponse sera donc courte.

Sa critique équivaut à de la culpabilité par association et à l’insinuation tout à fait désagréable qu’on ne peut pas faire confiance ni aux spécialistes de la MMT, ni à leurs travaux. Warren Mosler, promoteur de la MMT, est depuis longtemps un partisan de l' »euthanasie du rentier », mais on peut l’ignorer parce qu’il s’agit d’un spécialiste des hedge funds. N’oublions pas non plus que Beardsley Ruml n’est pas le seul représentant de la Fed à avoir corroboré des allégations clés concernant la MMT. L’analyse technique d’Abba Lerner sur les obligations, les taux d’intérêt et les dépenses gouvernementales ne dépend pas du moment historique particulier qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale. Randall Wray et Eric Tymoigne ont probablement offert la réponse la plus complète à la critique de Thomas Palley, mais aucune partie de la substance de leur réponse ne se retrouve dans le papier de Henwood, seulement une caricature de leur style rhétorique. Le succès de la bourse d’études de Wray (quelqu’un qui a laissé une marque indélébile sur la pensée institutionnaliste et post-keynésienne) est particulièrement troublant, et Wray a publié sa propre réponse. Il n’y a pas un mot sur l’importance du travail de Wynne Godley pour la MMT, tandis que l’un des auteurs les plus prolifiques de la MMT – Bill Mitchell – n’y fait qu’une discrète apparition, peut-être pour ne pas ébranler l’idée fausse de Henwood que la MMT est une approche centrée sur les États-Unis.

J’espérais voir un développement concernant les perspectives analytiques de la MMT, mais en vain. Vous apprendrez de Doug Henwood que nous avons fait « l’arithmétique élaborée des réserves bancaires« , mais que la comptabilité des réserves est apparemment « d’une pertinence limitée pour quiconque s’intéresse aux questions économiques globales« , comme si la façon dont le gouvernement finance lui-même n’en faisait pas partie. Henwood ne peut pas, ou ne veut pas nous dire ce qu’il pense être le problème au sujet de notre analyse. Il dit simplement que nous avons tort.

Il y a fort à parier que s’il faisait deux ou trois bilans à lui seul, il verrait que le gouvernement ne peut pas préfinancer ses programmes au sens technique du terme. S’il s’aventurait dans les rouages des opérations de la Réserve fédérale et du Trésor, il verrait que les impôts ne sont pas stockés dans un sens matériel pour être dépensés à nouveau. Chose choquante, il n’y a rien dans son article au sujet d’un des piliers fondamentaux de l’analyse de laMMT – l’équilibre des secteurs financiers. S’il y réfléchissait un instant, il pourrait commencer à se poser d’autres questions sur les déficits publics et à comprendre que le déficit du secteur gouvernemental, par identité, équivaut à l’épargne financière du secteur non-gouvernemental.

Et parce qu’on n’y trouve pas de discussion ou d’analyse des marchés obligataires, des primary dealers, du rôle de la Fed en tant que teneur de marché pour les obligations, Henwood continue de recourir aux pièges faciles mais faux de l' » État sous-financé  » et des emprunts publics  » à financement privé « . Sans aucune analyse technique, il rejoint les autres caricatures habituelles de la MMT : les « presses à imprimer fonctionnant librement » ou « surchargées » qui provoquent l’hyperinflation et un destin tragique.

La discussion de Henwood sur la garantie d’emploi (GE) est un peu plus charitable, probablement parce qu’il croit (à tort) que ce programme est accessoire dans le projet de la MMT. En effet, celle-ci théorise ce que cela signifie pour le gouvernement d’être un émetteur de monnaie en situation de monopole, de pouvoir fixer le prix de cette monnaie (c.-à-d. le taux de conversion entre la monnaie et les biens et services réels), les avantages d’ancrer la valeur de la monnaie dans la force de travail (ce que je pensais être en accord avec Henwood), comment la GE atteint cet objectif et établit une norme du travail pour toute l’économie en appliquant une politique structurelle et contracyclique qui évite de rendre les chômeurs jetables. La MMT examine le rôle des impôts dans la conduite de la monnaie et la création du chômage, ainsi que la responsabilité inhérente du secteur public quant à une réponse au problème qu’il a créé par l’entremise du système monétaire.

Aucune de ces idées n’est même effleurée. Henwood nous reproche d’être  » timides  » quant à la façon dont les dépenses sont trop élevées, ignorant commodément que l’intérêt de cibler la demande par le biais d’une GE est de fixer un plancher et un plafond aux dépenses publiques, tout en ancrant les prix. Alors que c’est l’actuel modèle keynésien bâtard d’amorçage de  pompe qui ne propose pas de réponse à la question, « combien  c’est trop dépenser  » pour atteindre le plein emploi. La GE de la MMT veille à ce que les dépenses gouvernementales consacrées au programme se situent toujours exactement au  » bon  » niveau pour produire et maintenir le plein emploi.

Bref, il n’y a pas de critique analytique percutante de la MMT et donc rien à débattre. Henwood n’a pas réfuté une seule de nos revendications.

Voici ce que j’ai tiré de son article.

Henwood veut mener la « lutte des classes » par le biais de la politique budgétaire et plus particulièrement de la politique fiscale. Pire encore, il veut exproprier la richesse des riches en la rendant plus digeste pour eux. Il dit que  » les gens riches auraient beaucoup plus de mal à se plaindre du fait que leur argent soit pris pour éduquer les enfants et sauver la planète que s’il était pris parce qu’ils étaient trop riches « . « Désolé de prendre votre argent, mais on en a vraiment, vraiment besoin, n’est-ce pas ? » Quelle guerre des classes!

Henwood ne reconnaît pas que l’un des moyens les plus efficaces de s’engager dans cette lutte est de rendre les riches désuets – comme si nous allions cesser de prétendre que nous en avons besoin pour payer pour la bonne société. Dans un monde où la monnaie est souveraine et où les institutions monétaires et fiscales sont modernes, nous ne l’avons jamais vraiment fait, et nous ne le faisons certainement pas maintenant. Et le public a besoin de le savoir. C’est le message de la MMT.

Pour mémoire, la MMT, comme Henwood le reconnaît, a toujours plaidé en faveur de l’imposition des riches pour régler les problèmes d’inégalité et de pouvoir politique, mais nous offrons aussi une autre forme d’habilitation – celle qui consiste à lever le voile de la monnaie.

Je dirais que Henwood (comme d’autres gauchistes favorables à   » taxer les riches pour payer le progrès « ) est attaché aux riches par un cordon ombilical imaginaire qui tient son agenda progressiste en otage de ses oppresseurs. Pour moi, c’est la définition d’une paralysie auto-induite.

Il est temps de couper le cordon. La MMT a un pouvoir émancipateur profond et la gauche ferait bien de s’éveiller à son potentiel.

Le navire MMT navigue, que Henwood soit à bord ou non. Quiconque prend au sérieux les politiques progressistes audacieuses ignore déjà les austéritaires et les anti-déficit de gauche comme Henwood. Les Green New Dealers n’attendent pas que les « socialistes qui veulent taxer les riches » gagnent leur guerre des classes juste à temps, avant que le changement climatique irrévocable ne nous atteigne. Ils retroussent leurs manches et se mettent au travail. Ils savent que nous avons des problèmes beaucoup plus importants à résoudre, à savoir comment réorganiser nos ressources et notre production pour assurer une transition inclusive et juste vers un avenir vert qui puisse garantir une vie décente pour tous. Et tant que nous avons la volonté de faire le travail difficile, nous avons les moyens de payer pour nos priorités politiques.

Henwood pense peut-être que la MMT est une distraction, mais il n’en est rien. Nous avons fait le gros du travail pour briser de formidables mythes qui durent depuis des décennies au sujet des dépenses gouvernementales, pour aider à déplacer la fenêtre de dialogue et ouvrir la voie aux programmes audacieux et sans excuses d’aujourd’hui qui réclament l’État. Les vraies distractions sont celles de ceux qui, comme Henwood, espérant influencer la conversation publique, s’accrochent à des visions sclérosées des finances publiques.

 


À propos de l’auteur : Pavlina R. Tcherneva est directrice de programme et professeure agrégée d’économie au Bard College et associée de recherche au Levy Economics Institute.

Texte original : jacobinmag.com

Illustration : The « National Debt Clock » à New York City, une vitrine de propagande anti-déficit sponsorisée par la société immobilière Durst. Nick Webb / Flickr.

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