Warren Mosler
01/10/2021
Traduction par Robert Cauneau – MMT France
Cet article constitue une ébauche en cours d’élaboration. Il est donc susceptible d’évoluer.
Introduction
L’objectif de ce chapitre est de présenter un cadre d’analyse du niveau des prix et de l’inflation. La MMT (Modern Monetary Theory) est actuellement la seule école de pensée économique qui, en contraste direct avec les autres écoles de pensée, identifie et modélise spécifiquement à la fois la source du niveau des prix et la dynamique derrière les changements du niveau des prix. La MMT offre une compréhension unique de l’inflation telle que définie académiquement comme une partie de son cadre général d’analyse qui s’applique à tous les régimes monétaires.
On m’a demandé de rédiger un chapitre sur » l’inflation » selon la définition académique, à savoir » une augmentation continue du niveau des prix « . Cependant, après un examen approfondi, cette définition s’avère, au mieux, insaisissable. À tout moment, le niveau des prix est vraisemblablement à la fois statique et indéfinissable sur le plan quantitatif. C’est pourquoi même les recherches les plus sophistiquées des banques centrales utilisent des abstractions, la plus connue étant l’indice des prix à la consommation (IPC), qui se compose d’une sélection de biens et de services destinés à refléter le coût de la vie plutôt que le « niveau des prix ». Les banques centrales ne peuvent pas non plus déterminer un taux de variation continu de cette abstraction. Elles peuvent seulement vous dire comment l’IPC a évolué dans le passé, et elles peuvent tenter de prévoir les changements futurs. Et pire encore, elles supposent que la source du niveau des prix est entièrement historique, dérivée d’une régression infinie dans le passé qui, en théorie, est antérieure à la naissance de l’univers.
I. Le scénario monétaire MMT
L’histoire monétaire de la MMT suppose un État qui désire s’approvisionner par le biais d’un système monétaire dont la séquence est la suivante :
- Imposition d’obligations fiscales coercitives
- Dépenses de l’État (les prêts sont un sous-ensemble des dépenses (NdT : par « prêts », il faut entendre (i) les prêts de la banque centrale, qui est une entité étatique, aux banques, ainsi que (ii) les prêts bancaires, les banques étant une extension de l’État))
- Paiement des impôts et achat de titres d’État
Encore une fois, avec un récit plus étendu :
- L’État impose des obligations fiscales assorties de pénalités en cas de non-paiement. Les crédits d’impôt nécessaires au paiement des taxes sont des unités de la devise de l’État, émises uniquement par l’État.
- Les obligations fiscales, par conception, créent par conséquent des vendeurs de biens et de services qui cherchent les crédits d’impôt appropriés en échange, ces derniers représentant par définition le chômage.
- L’État s’approvisionne alors en dépensant sa devise pour acheter les biens et services qu’il désire.
- Les impôts peuvent alors être payés et, les titres de l’État, s’ils sont mis en vente par l’État, peuvent alors être achetés.
- Les dépenses de l’État qui excèdent les recettes fiscales restent en circulation en tant qu’actifs financiers nets dans l’économie qui répondent aux désirs d’épargne jusqu’à ce qu’ils soient utilisés pour payer les impôts.
II. Les fondements microéconomiques de MMT – La monnaie en tant que monopole public
L’histoire de la monnaie selon la MMT commence par l’imposition d’obligations fiscales coercitives afin de créer une demande théorique pour cette devise. Cette demande théorique est la somme des unités de la devise nécessaires pour payer les impôts et financer les désirs d’épargne résiduels, comme en témoigne ce qui est mis en vente par les agents qui cherchent cette devise en échange de leurs biens et services. Avec les devises d’État actuelles, par exemple, les secteurs non gouvernementaux offrent des biens et des services à la vente jusqu’à ce qu’ils aient satisfait leur besoin de payer des impôts et leur désir d’épargne nette.
Le système monétaire étatique est un monopole public, l’État étant le seul fournisseur de ce dont il a besoin pour payer ses impôts. L’État dicte donc nécessairement les termes de l’échange lorsqu’il dépense pour acheter des biens et des services, la quantité qu’il peut acheter étant inversement proportionnelle aux prix qu’il paie. Par exemple, si les impôts à payer sont de 100 dollars et les désirs d’épargne de 20 dollars, et que l’État propose de payer 1 dollar par jour pour la main-d’œuvre, il pourra obtenir 120 jours de travail. Si, au contraire, l’État paie 2 dollars par jour pour le travail, il n’obtiendra que 60 jours de travail. Dans les deux exemples, les secteurs non gouvernementaux vendent de la main-d’œuvre au prix de l’État à un niveau tel que les agents de ces secteurs disposent de suffisamment de fonds pour s’acquitter de leurs obligations fiscales et épargner comme ils le souhaitent.
Pour une obligation fiscale nominale fixe et un désir d’épargne donnés, en payant des prix plus élevés, l’État redéfinit la valeur de la devise à la baisse et achète moins en termes réels. Par conséquent, l’État ne peut, d’un point de vue arithmétique, lorsqu’il paie des prix plus élevés, acheter davantage de biens et de services réels qu’en augmentant ses obligations fiscales ou en augmentant son désir d’épargne. En d’autres termes, pour revenir à l’exemple précédent où les impôts à payer étaient de 100 dollars, les désirs d’épargne de 20 dollars et le salaire de la main-d’œuvre de 1 à 2 dollars par jour, une augmentation des impôts à 200 dollars ou une augmentation des désirs d’épargne à 140 dollars permettrait à l’État d’obtenir les mêmes 120 heures de travail qu’avec le salaire de 1 dollar.
Aux États-Unis, les dettes fiscales ont tendance à augmenter à mesure que le gouvernement américain paie des prix plus élevés en raison des taxes sur les transactions fédérales, étatiques et locales qui sont basées sur les prix. Il s’agit notamment de l’impôt sur le revenu, où des revenus nominaux plus élevés entraînent des obligations fiscales plus importantes, et des taxes sur les ventes, où des prix plus élevés entraînent également des obligations fiscales plus importantes.
De plus, les désirs d’épargne sont basés sur des considérations réelles plutôt que nominales. Les souhaits d’épargne-retraite, par exemple, sont fondés sur le coût de la vie présumé pendant les années de retraite. Lorsque les prix augmentent, ces désirs d’épargne nominale augmentent en conséquence. Les besoins de liquidités des entreprises et les besoins de financement des stocks et des créances augmentent également avec la hausse des prix.
Par conséquent, en général, une économie qui connaît une hausse continue des prix nécessite une augmentation nominale continue de ce que l’on appelle communément « la masse monétaire » qui constitue l’épargne nette d’actifs financiers de l’économie. Sans cette augmentation, les désirs d’épargne réelle ne peuvent être réalisés, comme en témoignent alors le chômage et la surcapacité en général. C’est, en fait, le récit que je fais de la récession de 1979. L’équilibre budgétaire s’est resserré car les dettes fiscales ont augmenté plus rapidement que les dépenses publiques, et la croissance de la dette publique réelle s’est encore ralentie en raison de l’augmentation du niveau des prix, cette combinaison entraînant l’économie dans une grave récession.
III. La source du niveau des prix
L’État étant le seul fournisseur de ce qu’il exige en paiement des impôts, l’économie a besoin de la devise de l’État et, par conséquent, les dépenses de l’État fixent les termes de l’échange ; le niveau des prix est fonction des prix payés par l’État lorsqu’il dépense.
Deux dynamiques principales interviennent dans la détermination du niveau des prix. La première est l’introduction de la valeur absolue de la devise de l’État, qui a lieu par les prix que l’État paie lorsqu’il dépense. De plus, la seule information concernant la valeur absolue mesurée en unités de la devise de l’État est celle transmise par les dépenses de l’État. Par conséquent, tous les prix nominaux peuvent nécessairement être ramenés aux prix que l’État paie lorsqu’il dépense sa devise.
La deuxième dynamique est la transmission de cette information par les marchés qui allouent les prix en exprimant les niveaux d’indifférence entre acheteurs et vendeurs, le tout dans le contexte de la structure institutionnelle de l’État.
Le niveau des prix est donc constitué des prix dictés par la politique de dépenses de l’État ainsi que de tous les autres prix dérivés ultérieurement par les forces du marché opérant dans la structure institutionnelle de l’État.
IV. Les agents de l’État
Le Congrès américain a désigné des agents pour travailler en son nom. Il s’agit de la Federal Reserve Bank qui gère le système monétaire, des banques commerciales membres de la Federal Reserve System qui sont réglementées et supervisées par le gouvernement fédéral, et du Trésor américain qui effectue des achats et des ventes conformément à la législation, en donnant l’ordre à la Federal Reserve Bank de débiter ou de créditer les comptes appropriés.
Les banques commerciales membres de la Fed ont des comptes à vue auprès de la Fed appelés comptes de réserve. Les obligations fiscales fédérales sont acquittées soit par le paiement de billets de la Réserve fédérale (espèces), soit par le débit par la Fed du compte de réserve d’une banque membre et, si c’est un client de la banque qui initie le paiement, par le débit simultané par la banque membre du compte bancaire du client qui effectue le paiement. Les entités non bancaires ne peuvent effectuer des paiements à la Fed qu’indirectement, par l’intermédiaire d’une banque membre de la Fed en tant que correspondant, ou en utilisant des espèces.
Les banques, en tant qu’agents du gouvernement, influencent également le niveau des prix, car les prêts bancaires soutiennent les emprunts des clients pour l’achat de biens et de services. La réglementation et la supervision gouvernementales contrôlent les prix payés avec les fonds empruntés auprès des banques commerciales. Et, avec les liquidités illimitées inhérentes à une politique de taux de change flottant, sans réglementation, les banques pourraient prêter sans limite et sans exigences de garanties ou autres moyens de contrôler les prix payés par les emprunteurs, ce qui pourrait rapidement réduire la capacité du gouvernement à s’approvisionner et dévaluer la devise de façon catastrophique.
V. La détermination du niveau des prix
L’État fixe les conditions d’échange de sa devise par les prix qu’il paie lorsqu’il dépense, et non pas en soi par la quantité de devise qu’il dépense. Par exemple, si l’État propose d’engager des soldats à 50 000 dollars par an, le niveau des prix ainsi défini restera constant, quel que soit le nombre de soldats engagés et quelles que soient les dépenses totales de l’État. L’État a fixé la valeur de sa devise de manière exogène, en fournissant cette information de valeur absolue que les forces du marché utilisent ensuite pour répartir par prix avec les valeurs d’échange d’autres biens et services déterminées sur le marché. Cependant, sans l’information fournie par l’État, il n’y aurait pas d’expression de la valeur relative en termes de cette devise.
Si l’État décidait, par exemple, d’augmenter le prix qu’il paie pour ses soldats à 55 000 dollars par an, il redéfinirait la valeur de sa devise à la baisse et augmenterait le niveau général des prix de 10 %, car les forces du marché reflètent cette augmentation dans le cours normal de la répartition par prix et de la détermination de la valeur relative. Et tant que l’État continuera à verser 55 000 dollars par an aux soldats, en supposant des valeurs relatives constantes, le niveau des prix restera inchangé. Et, par exemple, l’État devrait continuellement augmenter le taux de rémunération de 10% par an pour soutenir une augmentation annuelle continue du niveau des prix de 10%,.
VI. La dynamique de l’inflation
Je commence par une définition académique du taux d’inflation :
« L’augmentation continue de la structure à terme des prix auxquels les agents économiques sont confrontés aujourd’hui pour les achats et les ventes à des dates de livraison futures. »
On peut également parler de prix à terme, et c’est une expression du taux d’intérêt directeur déterminé par la politique de la banque centrale.
La MMT fait une distinction entre les changements dans le temps du niveau des prix et le taux d’inflation qui est exprimé par la structure actuelle des prix.
Le niveau des prix varie en fonction des prix payés par l’État lorsqu’il dépense (politique budgétaire), tandis que les changements dans la structure des taux d’intérêt directeurs (politique monétaire) modifient la structure des prix. Et si la structure à terme des prix n’est pas une prévision des changements du niveau des prix, cela ne veut pas dire qu’elle n’influence pas la direction future du niveau des prix.
En outre, la politique de taux d’intérêt fonctionne comme un transfert fiscal, l’État étant un payeur net d’intérêts aux autres secteurs de l’économie. Avec des niveaux de dette publique supérieurs à 100 % du PIB, par exemple, une hausse de 1 % des taux ajoute en fin de compte à l’économie des paiements d’intérêts de plus de 1 % du PIB. Cette augmentation des dépenses de l’État accroît directement l’épargne nominale des actifs financiers nets et, dans la mesure où les agents recevant les paiements d’intérêts augmentent leurs dépenses, les paiements d’intérêts de l’État augmentent les ventes, la production et l’emploi. Et pour cette raison, je suggère en outre que le paiement d’intérêts par l’État, mis en œuvre par l’État pour ralentir le taux de croissance et travailler pour contrer les augmentations de prix, est beaucoup plus susceptible de faire l’inverse.
Il convient également de noter que les intérêts sont nécessairement versés à ceux qui ont déjà de l’argent, et qu’ils sont également versés proportionnellement à la quantité d’argent que l’on possède. Dans des publications antérieures, j’ai qualifié une politique de taux d’intérêt positif de « revenu de base pour ceux qui ont déjà de l’argent » qui, lorsqu’elle est présentée comme telle, ne bénéficie d’aucun soutien politique. Pourtant, en tant que politique monétaire censée combattre l’inflation, les augmentations de taux des banques centrales bénéficient d’un large soutien.
Pour résumer, je considère que la politique des taux d’intérêt est à la fois rétrograde et confuse. Tout d’abord, le taux d’inflation défini de manière académique est une expression des taux directeurs de la banque centrale, de sorte que les hausses de taux augmentent directement cette mesure de l’inflation.
Deuxièmement, les hausses de taux constituent des dépenses supplémentaires pour le déficit de l’État, ce qui tend également à être un biais inflationniste.
Et troisièmement, pour moi, le versement de fonds uniquement à ceux qui ont déjà de l’argent comme remède à ce que l’on croit être l’inflation ne sert pas l’intérêt général.
VII. Taux d’intérêt et salaires
Une augmentation du taux directeur de la Banque centrale augmente en premier lieu les dépenses du déficit public et le revenu total de l’économie. Cela signifie que les salaires représentent alors un pourcentage plus faible du revenu total, ce qui, dans une certaine mesure, en fonction de la propension à dépenser, implique que la valeur relative des salaires a diminué.
Cela implique également que si les salaires sont indexés sur le niveau général des prix dans le contexte d’un taux d’intérêt directeur positif, une augmentation du salaire entraînera une augmentation plus importante du niveau général des prix, qui déclenchera alors une augmentation du salaire, dans une spirale accélérée.
En revanche, dans le contexte d’une politique de taux zéro, une augmentation de salaire ne serait pas amplifiée par ce processus.
Ce que je suggère, c’est que cette combinaison d’indexation des salaires et de taux d’intérêt élevés, observée de manière sélective dans les pays qui connaissent des augmentations indésirables du niveau des prix, contribue ironiquement à accélérer les taux d’augmentation que la politique de taux d’intérêt est censée contenir.
VIII. La hiérarchie de la demande
La demande trouve son origine dans l’État. Sans dépenses publiques, la valeur de la devise est indéterminée et il n’y a pas de demande globale. Ce n’est qu’à la suite des dépenses de l’État (les prêts sont un sous-ensemble des dépenses (NdT : par « prêts », il faut entendre (i) les prêts de la banque centrale, qui est une entité étatique, aux banques, ainsi que (ii) les prêts bancaires, les banques étant une extension de l’État)) que la devise peut obtenir une valeur absolue et que les dépenses non gouvernementales peuvent avoir lieu.
IX. Conclusion
Ce chapitre fournit un cadre pour l’analyse du niveau des prix et de l’inflation. Ce cadre est celui de la monnaie elle-même en tant que monopole public, l’État fixant la demande nominale avec ses obligations fiscales, ainsi qu’en fournissant les crédits d’impôt qui permettent de se conformer à ces obligations fiscales.
Cette conception explique entièrement la source du niveau des prix en valeur nominale absolue dans le temps. Elle implique également le rôle des taux d’intérêt par rapport à la définition académique de l’inflation et l’influence des taux directeurs sur les expressions de la valeur relative déterminées par le marché.
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