L’élection présidentielle française 2022 : un paysage politique profondément recomposé

par

Robert Cauneau

14 avril 2022

L’élection présidentielle des 10 et 24 avril était la onzième au suffrage universel direct de la VRépublique. Elle représente une étape très importante dans la recomposition du paysage politique français. Structurée, à partir de 1965, autour d’un affrontement entre la droite et la gauche, dans leurs diverses composantes, elle se caractérise aujourd’hui par une fragmentation des grandes familles politiques, au sein desquelles les partis dits « de gouvernement » qui se sont relayés au pouvoir jusqu’en 2017 sont en voie de relégation. Les deux grandes familles rassemblant les électeurs de droite et de gauche, qui représentaient 55 % il y a 10 ans, n’ont rassemblé que 6 % ce 10 avril.

Il s’agit donc d’une totale recomposition du paysage politique, en fait une nouvelle tripartition autour d’un pôle central occupé par le président sortant, Emmanuel Macron, qui, avec 27.6 %, améliore son score de 2017 de 3 points, cerné par deux blocs contestataires menés, à l’extrême droite, par Marine Le Pen (23,41 %) et, à gauche, par Jean-Luc Mélenchon (21,95 %). Si on additionne les voix d’Eric Zemmour et de Nicolas Dupont-Aignan, le premier bloc totalise 32,53 % des voix tandis que le total des voix de gauche représente 30,58 %.

Dans l’ensemble, Emmanuel Macron ne subit pas de décrochages importants, sauf dans plusieurs départements d’outre-mer, ainsi que dans un département de la région parisienne. A l’inverse, ses progressions les plus significatives s’effectuent dans les collectivités du Pacifique, dans l’Ouest et en Alsace, des territoires dans lesquels la droite a longtemps été bien implantée. C’est d’ailleurs dans ces mêmes entités que la candidate du parti de droite Les Républicains, Valérie Pécresse, enregistre les reculs les plus prononcés.

Quand l’électorat de la droite ne s’est pas réfugié chez Emmanuel Macron, c’est l’extrême droite, stimulée par la concurrence Le Pen-Zemmour, qui l’a capté, provoquant, là aussi, une véritable hémorragie. Dans pas moins de douze départements ou collectivités, le score de la droite chute, en cinq ans, de plus de 20 points.

En ce qui concerne la gauche, Jean-Luc Mélenchon conforte son hégémonie et parvient à gagner plus de 2 points sur le score qu’il avait obtenu en 2017. Toutefois, s’il réalise des gains spectaculaires dans les outre-mer, il enregistre des baisses dans 45 départements métropolitains. Il est vrai qu’il était, cette fois, concurrencé par plusieurs autres candidatures à gauche, même si celle d’Anne Hidalgo, pour le Parti socialiste, s’est finalement réduite à une candidature de témoignage.

L’effondrement des forces traditionnelles de gouvernement se double donc, en parallèle, d’une montée en puissance des courants contestataires, de part et d’autre de l’échiquier politique, faisant la part belle au populisme et au nationalisme. Il est donc légitime de se demander si le régime hérité de la Constitution de la VRépublique de 1958 y résistera.

L’affiche du second tour de cette élection sera donc la même qu’en 2017. Les électeurs devront départager le 24 avril deux projets, dans l’ensemble, radicalement opposés, même si certains sujets convergent.

Les deux finalistes du second tour partagent certaines convergences de vue sur l’économie. Ainsi, tous les deux prônent une politique économique tantôt libérale, tantôt interventionniste. Mais des divergences importantes existent au niveau de la fiscalité, et surtout, les deux candidats s’opposent sur les retraites, ce qui sera probablement l’un des grands sujets de débats de l’entre-deux-tours. La candidate du Rassemblement National défend un âge légal de la retraite à 62 ans. Emmanuel Macron, lui, veut le relever à 65 ans (qu’il a ramené hier à 64 ans), et envisage toujours une réforme des retraites plus vaste.

Sur les autres points :

  • Si les 2 candidats sont favorables au nucléaire, ils ne sont pas d’accord sur les énergies renouvelables.
  • Marine Le Pen souhaite des réformes institutionnelles et est favorable à un referendum afin de laisser le vote populaire trancher certaines questions, tandis que Emmanuel Macron a une préférence pour un grand débat permanent.
  • Sur l’Europe, une divergence nette les sépare : si Emmanuel Macron se positionne comme un candidat ouvertement pro-européen, Marine Le Pen, qui certes ne propose plus directement de sortir de l’UE ou d’abandonner l’euro, une large part de son programme resterait, en l’état, inapplicable dans le cadre des traités européens actuels. Elle affirme aussi vouloir consacrer la supériorité des lois françaises sur les lois européennes.
  • La politique étrangère est un autre sujet de clivage, notamment s’agissant de la guerre en Ukraine : alors que le président en exercice a été moteur dans la mise en place de sanctions contre la Russie, la présidente du RN estime que celles-ci menacent le pouvoir d’achat des Français.
  • Sur l’immigration, Marine Le Pen est beaucoup plus radicale : expulsion systématique des « clandestins, délinquants et criminels étrangers » et des mineurs sans papiers, ainsi que « préférence nationale » sur les aides sociales excluant les bénéficiaires étrangers.
  • Enfin, le contraste est moins marqué sur les sujets de société.

S’agissant des questions monétaires, seuls 5 candidats avaient émis des propositions concrètes. Et, dans la mesure où il s’agissait de « petits candidats », ces sujets n’ont pratiquement pas été abordés au cours des débats. Il convient donc de se rendre à l’évidence, à savoir que ces sujets n’intéressent qu’une minorité d’électeurs et n’éveillent en aucune façon l’intérêt d’une large opinion publique.

Pour les 2 candidats qui restent en lice pour le second tour, le programme d’Emmanuel Macron ne comporte pas de propositions concernant les questions monétaires, l’organisation du système bancaire, la dette publique ou les mouvements de capitaux. S’il propose « un pacte productif qui permette de gagner encore en force et en indépendance économiques » passant par « le plein emploi » et « l’investissement dans la recherche et l’innovation », les moyens pour y parvenir sont une réforme du droit du travail et des retraites, ainsi qu’une baisse des impôts et des charges des entreprises.

Pour Marine Le Pen : Les notions de gouvernance de la zone euro, d’orientation du système bancaire, de souveraineté monétaire ou de politique monétaire en général ne font pas partie de ses 22 mesures phare. Son programme ne comporte aucun volet thématique propre à la souveraineté ou au « patriotisme économique », ces positions demeurant cependant majeures dans sa vision de l’avenir.

Ainsi, s’il fallait les départager sur ces critères, et notamment sur la question de savoir lequel des deux a le mieux compris et va le plus loin dans le sens de l’utilisation optimale de l’espace budgétaire du pays, comme MMT le suggère, ce serait impossible. Emmanuel Macron est conseillé par des économistes convaincus de la « finance saine », et pour la plupart desquels le déficit et la dette publique demeurent des questions très problématiques. Quant à Marine Le Pen, le chiffrage de son programme demeure également fixé en termes de budget, et non en termes de l’économie prise en compte dans son ensemble, avec des dépenses publiques considérées devant être « financées » par des recettes d’impôts et d’emprunts.

Il est donc à craindre que, quel que soit le vainqueur du second tour des élections du 24 avril, les sirènes de la rigueur budgétaire et de l’austérité ne se fassent de nouveau entendre, le cadre théorique et de réflexion autour des questions monétaires et budgétaires demeurant erroné, et le débat public ainsi totalement biaisé.

Les MMTers français mesurent donc l’immense travail de divulgation et de persuasion qu’il leur reste à réaliser.


Illustration : huffingtonpost.fr

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