Plongée dans les courants de pensée qui ont enchaîné les États de la zone euro.
par
Robert Cauneau
15 juin 2025
Introduction
L’article 123 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE)1, anciennement l’article 104 du Traité de Maastricht, constitue une disposition juridique d’une portée considérable. Il interdit formellement à la Banque Centrale Européenne (BCE) et aux banques centrales nationales (BCN) d’accorder des découverts ou tout autre type de facilité de crédit aux institutions et administrations publiques des États membres de la zone euro2 , ainsi que l’acquisition directe par celles-ci d’instruments de leur dette. Cette double interdiction, en apparence technique, a profondément structuré l’architecture de l’Union Économique et Monétaire (UEM), enracinant l’idée que les États doivent « financer » leurs dépenses par les impôts ou par l’emprunt sur les marchés financiers. Les conséquences de cette orientation ont été majeures, influençant les politiques budgétaires nationales, la réponse aux crises économiques, et le débat public sur la dette et les déficits (voir par exemple Mitchell, 2015).
Au-delà de son énoncé juridique, l’article 123 est bien plus qu’une simple modalité de gestion des finances publiques. Il est le symptôme et le vecteur d’un ensemble de convictions et de représentations du rôle de l’État, de la monnaie et des marchés qui étaient hégémoniques au moment de sa conception. L’objectif de cet article est précisément de dévoiler et d’analyser les fondements idéologiques qui ont présidé à l’inscription d’une telle contrainte au cœur du pacte monétaire européen. Nous chercherons à démontrer que l’article 123 n’est pas le fruit d’une nécessité technique ou d’une sagesse économique universelle, mais plutôt l’expression d’un paradigme politique et économique spécifique, celui du néolibéralisme et de l’ordolibéralisme, qui a dominé la pensée et l’action politique à la fin du XXe siècle.
Cette perspective, souvent occultée par des justifications techniques ou des appels à la « crédibilité », est essentielle pour comprendre non seulement pourquoi l’article 123 a été adopté, mais aussi pourquoi sa remise en cause ou sa simple discussion critique suscite de telles résistances. En effet, comme l’ont souligné des approches hétérodoxes, notamment la Théorie Monétaire Moderne (MMT) initiée par les travaux de Warren Mosler (1995), un État qui crée sa monnaie, en régime de taux de change flottant, n’est pas intrinsèquement contraint par des impératifs de « financement » de sa propre monnaie. La persistance de règles comme l’article 123, malgré les « jeux de bonneteau »3 qui en atténuent la portée pratique (cf. Cesaratto, 2016 ; Ehnts, 2016a), témoigne de la puissance des cadres idéologiques dans la construction des institutions.
Cet article explorera donc les racines de cette disposition, en quatre temps. La première partie examinera le contexte intellectuel et historique des années 1970 à 1990, marqué par la critique du keynésianisme, l’ascension du monétarisme et l’influence du modèle de stabilité allemand, qui ont collectivement préparé le terrain à une vision rigoriste de la politique monétaire et budgétaire. La deuxième partie se penchera sur les fondements idéologiques plus spécifiques qui sous-tendent l’article 123, tels que la valorisation de l’indépendance de la banque centrale, la crainte de la « domination fiscale », la croyance en la « discipline de marché » et la conception de l’État comme un agent devant se financer comme un acteur privé. La troisième partie analysera comment ces soubassements idéologiques se sont traduits en objectifs politiques et en compromis lors des négociations du Traité de Maastricht, en soulignant notamment les dynamiques entre les États membres. Enfin, la quatrième partie discutera brièvement les conséquences et les critiques d’une règle aussi profondément ancrée dans une vision idéologique particulière, ouvrant la voie à une réflexion sur les alternatives possibles.
1. Le Contexte Intellectuel et Historique : la Montée d’un Paradigme
L’adoption de l’article 104 du Traité de Maastricht (devenu l’article 123 du TFUE) et, plus largement, de l’architecture monétaire et budgétaire de l’Union Économique et Monétaire (UEM), ne peut être comprise sans une analyse du contexte intellectuel et historique dans lequel ces décisions ont été prises. Les années 1970, 1980 et le début des années 1990 ont été marquées par une profonde reconfiguration des idées économiques dominantes et des équilibres politiques, créant un terreau fertile pour l’émergence d’un paradigme privilégiant la stabilité des prix, la discipline budgétaire et une méfiance accrue envers l’interventionnisme étatique discrétionnaire. Ce paradigme a exercé une influence déterminante sur les concepteurs de la monnaie unique.
1.1 La Fin des Trente Glorieuses et la Critique du Keynésianisme
La période de forte croissance et de quasi plein emploi de l’après-guerre, souvent qualifiée de « Trente Glorieuses » et largement inspirée par les politiques keynésiennes de gestion de la demande, a pris fin dans les années 1970. Cette décennie a été marquée par une combinaison inédite de stagnation économique et d’inflation élevée – la stagflation – exacerbée par les chocs pétroliers (1973, 1979). Ce phénomène a profondément ébranlé la confiance dans les préceptes keynésiens traditionnels, qui peinaient à expliquer et à contrer cette nouvelle configuration économique.
Cette crise du keynésianisme a ouvert la voie à une critique radicale de l’interventionnisme étatique, principalement de la part des courants monétaristes et néolibéraux qui allaient devenir dominants. Parallèlement, et de manière plus confidentielle à l’époque, des analyses alternatives commençaient à émerger, jetant les bases de ce qui deviendrait la Théorie Monétaire Moderne. Warren Mosler (1995), par exemple, proposait déjà une relecture du fonctionnement des monnaies fiduciaires modernes qui remettait en cause la notion même de contrainte de financement pour un État souverain.
1.2 L’Hégémonie Néolibérale et Monétariste des Années 1980
Les années 1980 ont vu le triomphe des idées néolibérales et monétaristes sur la scène politique et intellectuelle. Les politiques menées par Margaret Thatcher au Royaume-Uni (à partir de 1979) et Ronald Reagan aux États-Unis (à partir de 1981) ont incarné ce tournant, avec des programmes de dérégulation, de privatisation, de contrôle strict de la masse monétaire, et de réduction de l’influence des syndicats.
Sur le plan théorique, Milton Friedman et l’École de Chicago ont exercé une influence considérable, arguant que l’inflation était « toujours et partout un phénomène monétaire » résultant d’une croissance excessive de la masse monétaire par rapport à la croissance de la production. La solution préconisée était une politique monétaire stricte, menée par une banque centrale indépendante, visant à contrôler la quantité de monnaie ou, plus tard, à cibler directement l’inflation. La Nouvelle Économie Classique, avec ses hypothèses d’anticipations rationnelles, a poussé plus loin la critique de l’inefficacité des politiques discrétionnaires.
Ce « Consensus de Washington », prônant la discipline budgétaire, la libéralisation des marchés et un État minimal, s’est diffusé bien au-delà des pays anglo-saxons, influençant les institutions internationales (FMI, Banque Mondiale) et de nombreux gouvernements européens. La méfiance envers les déficits publics et le financement de l’État par la création monétaire est devenue un leitmotiv.
1.3 Le « Modèle Allemand » et la Phobie de l’Inflation
Dans le contexte européen, l’Allemagne de l’Ouest jouait un rôle économique et monétaire pivot. Son succès économique d’après-guerre s’accompagnait d’une stabilité monétaire remarquable, incarnée par la Deutsche Bundesbank. Cette institution jouissait d’une indépendance considérable et d’une crédibilité sans faille dans sa lutte contre l’inflation, une obsession nationale profondément enracinée dans le traumatisme de l’hyperinflation de la République de Weimar en 1923.
La pensée économique allemande était (et reste en partie) dominée par l’ordolibéralisme. Ce courant, né dans l’entre-deux-guerres (École de Fribourg), prône un État fort pour établir et garantir un cadre concurrentiel (« Ordnungspolitik ») et assurer la stabilité de la monnaie. Cependant, il se méfie de l’interventionnisme étatique discrétionnaire dans l’économie et est particulièrement hostile au financement des déficits publics par la banque centrale, perçu comme une source d’instabilité et d’inflation.
Avec le Deutsche Mark comme monnaie d’ancrage du Système Monétaire Européen (SME), l’Allemagne et sa Bundesbank ont exercé une influence prépondérante sur les discussions préparatoires au Traité de Maastricht. Imposer un modèle de banque centrale européenne indépendante, calqué sur la Bundesbank et axé sur la stabilité des prix, et assortir cela de règles strictes de discipline budgétaire pour tous les membres, est devenu une condition sine qua non pour que l’Allemagne accepte d’abandonner sa monnaie forte au profit de l’euro.
C’est donc dans ce triple contexte – crise du keynésianisme et stagflation, hégémonie intellectuelle du néolibéralisme et du monétarisme, et influence déterminante du modèle allemand de stabilité – que les négociations du Traité de Maastricht se sont déroulées. L’article 123, interdisant le financement monétaire direct des États, apparaît alors moins comme une innovation technique que comme la consécration logique et quasi inévitable des idées dominantes de l’époque, visant à enchaîner les États à une orthodoxie monétaire et budgétaire stricte.
2. Les Fondements Idéologiques de l’Article 123
Si le contexte intellectuel et historique des années 1970-1990 a créé un environnement favorable à des politiques de rigueur, l’inscription de l’article 123 au cœur du Traité de Maastricht (devenu TFUE) repose sur un ensemble de fondements idéologiques plus spécifiques. Ces derniers, largement issus du paradigme néolibéral et ordolibéral, ont façonné une vision particulière du rôle de l’État, de la monnaie, et des marchés, où la séparation stricte entre les autorités monétaires et budgétaires, et la soumission de ces dernières à une discipline externe, sont considérées comme des vertus cardinales.
2.1 La « Vertu » de l’Indépendance de la Banque Centrale : un Rempart contre l’Arbitraire Politique
Au cœur de la justification de l’article 123 se trouve le dogme de l’indépendance de la banque centrale. Influencée par les succès apparents de la Bundesbank et nourrie par un corpus théorique influent, l’idée s’est imposée que pour garantir la stabilité des prix, la politique monétaire devait être soustraite à l’influence directe des gouvernements élus. La théorie de « l’incohérence temporelle » des politiques économiques, popularisée par Kydland et Prescott, a joué un rôle clé : les politiciens, soumis aux cycles électoraux, seraient tentés d’utiliser la politique monétaire pour stimuler l’économie à court terme, même au prix d’une inflation future plus élevée. Une banque centrale indépendante, dotée d’un mandat clair de stabilité des prix et isolée des pressions politiques, serait plus crédible et donc plus efficace pour ancrer les anticipations d’inflation.
L’article 123 est le corollaire logique de cette vision : si la banque centrale doit être indépendante dans la poursuite de son objectif de stabilité des prix, elle ne peut être tenue de financer les déficits des gouvernements, car cela la soumettrait directement aux impératifs de la politique budgétaire. L’interdiction du financement monétaire direct est ainsi présentée comme la garantie ultime de cette indépendance. L’idéologie sous-jacente est claire : une méfiance fondamentale envers la capacité des processus démocratiques et des politiciens à gérer la monnaie de manière « responsable », et une confiance accordée à des technocrates « experts » et supposément neutres.
2.2 La Crainte Obsessionnelle de la « Domination Fiscale »
Étroitement liée au principe d’indépendance, la crainte de la « domination fiscale » est un autre pilier idéologique de l’article 123. Ce concept décrit une situation où la politique budgétaire d’un gouvernement (ses décisions de dépenses et de taxation) contraint la banque centrale à mener une politique monétaire accommodante (par exemple, maintenir des taux bas ou acheter de la dette publique) pour faciliter le financement des déficits, même si cela va à l’encontre de son objectif de stabilité des prix. La « domination fiscale » est ainsi perçue comme la voie royale vers l’inflation incontrôlée..
L’article 123 vise explicitement à prévenir ce scénario en créant une séparation institutionnelle forte, un « mur de Chine », entre les autorités budgétaires (les gouvernements nationaux) et l’autorité monétaire (la BCE et les BCN de l’Eurosystème). En interdisant l’achat direct de dette et les facilités de crédit, le traité entend rendre la banque centrale imperméable aux besoins de financement des États, la laissant libre de poursuivre son objectif de stabilité des prix sans interférence. Cette vision ignore largement la possibilité d’une coordination vertueuse entre politiques monétaire et budgétaire, ou le fait que la banque centrale, en tant qu’institution publique, pourrait avoir des objectifs plus larges que la seule stabilité des prix, comme le soutien au plein emploi ou à la stabilité financière.
2.3 La Croyance en la « Discipline de Marché » comme Mécanisme de Contrôle
Si la banque centrale ne peut financer directement l’État, ce dernier doit alors trouver ses ressources sur les marchés financiers privés en émettant des titres. L’article 123 est donc indissociable d’une croyance profonde en l’efficacité et la vertu de la « discipline de marché ». L’idée est que les investisseurs privés, en évaluant la solvabilité et la « bonne gestion » des finances publiques d’un État, ajusteront les taux d’intérêt qu’ils exigent pour détenir sa dette. Un État perçu comme laxiste ou dépensier verrait ses coûts d’emprunt augmenter, le forçant ainsi à revenir à une gestion plus « saine » (une vision souvent défendue par des institutions comme le FMI dans ses recommandations).
Cette « discipline de marché » est donc érigée en mécanisme de contrôle externe et supposément objectif des politiques budgétaires nationales, se substituant au contrôle politique interne ou à la coordination au sein de l’union monétaire. L’article 123 est l’instrument qui rend cette discipline possible et nécessaire. Cette vision occulte cependant les imperfections des marchés financiers, leur propension aux comportements mimétiques, aux bulles et aux paniques, ainsi que le fait que la perception du risque souverain est elle-même influencée par les anticipations sur l’attitude de la banque centrale, comme l’a cruellement démontré la crise de la zone euro avant l’intervention de Draghi.
2.4 L’État Réduit au Rang d’Acteur Économique Ordinaire : la Négation de l’Autonomie Monétaire
Enfin, et de manière plus fondamentale, l’article 123 et l’architecture de Maastricht dans son ensemble reposent sur une conception de l’État qui nie ou minimise sa spécificité en tant que créateur de sa propre monnaie (ou, dans le cas de la zone euro, en tant que membre d’une union dont la banque centrale crée la monnaie). En le contraignant à se financer comme un agent privé (par les impôts ou l’emprunt auprès de tiers), on le place implicitement dans la position d’un utilisateur de monnaie, et non d’un créateur (ou d’une entité dont la dépense initie la création monétaire par la banque centrale).
Une perspective alternative, initiée par les travaux fondateurs de Warren Mosler (1995) avec son livre fondateur de la MMT Soft Currency Economics suggère qu’un État monétairement souverain crée la monnaie lorsqu’il dépense, inversant la causalité traditionnellement admise.
La perspective imposée par l’article 123 est donc en contradiction directe avec les approches chartalistes ou celles de la MMT, qui soulignent que l’État qui crée sa propre monnaie, en régime de taux de change flottant, ne peut être contraint financièrement dans sa propre monnaie (voir Wray, 1998, Understanding Modern Money). L’article 123, en imposant une contrainte de financement externe, cherche à simuler pour les États de la zone euro une situation de « non-autonomie monétaire » individuelle, les rendant dépendants des marchés et de la bonne volonté de la BCE (dont le mandat prioritaire n’est pas de faciliter le financement des États). Cette vision ignore la nature de la monnaie fiduciaire moderne comme une créance sur l’État (un « crédit d’impôt ») et la capacité de l’État consolidé (Trésor + Banque Centrale) à toujours assurer la liquidité de ses propres engagements.
En conclusion, les fondements idéologiques de l’article 123 sont profondément ancrés dans un paradigme qui valorise l’indépendance technique sur la délibération politique, la stabilité des prix sur d’autres objectifs macroéconomiques, la discipline de marché sur la coordination étatique, et une vision de l’État comme potentiellement irresponsable et devant être contenu. Ces choix idéologiques ont eu des conséquences durables sur la capacité de la zone euro à répondre aux crises et à poursuivre des objectifs de prospérité partagée.
3. L’Article 123 et la Construction de l’UEM : Objectifs Politiques et Compromis
Si les fondements idéologiques précédemment décrits ont fourni un terreau fertile à l’article 123, son adoption finale dans le Traité de Maastricht est également le produit d’un processus politique complexe, marqué par des objectifs nationaux divergents, des rapports de force et des compromis stratégiques entre les États membres fondateurs de l’Union Économique et Monétaire (UEM). L’interdiction du financement monétaire direct des États n’était pas une simple clause technique, mais un élément central d’un « grand marchandage » visant à rendre la monnaie unique acceptable pour tous, en particulier pour son principal architecte et contributeur, l’Allemagne.
3.1 Assurer la Crédibilité de l’Euro en Important la « Culture de Stabilité » Allemande
L’un des objectifs politiques majeurs de la construction de l’UEM était de créer une monnaie stable et crédible sur la scène internationale, capable de rivaliser avec le dollar américain. Pour y parvenir, il semblait indispensable d’importer la « culture de stabilité » et la crédibilité anti-inflationniste de la Deutsche Bundesbank, considérée à l’époque comme la banque centrale la plus performante d’Europe. L’Allemagne, hantée par le souvenir de l’hyperinflation de Weimar et fière de la solidité du Deutsche Mark, n’aurait accepté d’abandonner sa monnaie nationale qu’à la condition que la future monnaie unique et sa banque centrale soient conçues sur son propre modèle.
Dans cette perspective, l’article 123 était une pièce maîtresse. En interdisant à la future Banque Centrale Européenne (BCE) de financer directement les déficits des États membres, on cherchait à garantir son indépendance vis-à-vis des pressions politiques nationales et à la prémunir contre toute tentation de laxisme monétaire. Cette règle, combinée à un mandat principal de stabilité des prix pour la BCE et à des critères de convergence budgétaire stricts pour les États membres, visait à rassurer l’opinion publique allemande et les marchés financiers que l’euro serait un « Mark élargi », aussi solide et fiable que son prédécesseur. L’article 123 était donc une concession majeure faite aux exigences allemandes, sans laquelle le projet de monnaie unique n’aurait probablement pas vu le jour.
3.2 Prévenir « l’ALEA Moral » et le « Free Riding » dans une Union Monétaire Hétérogène
La création d’une monnaie unique entre des pays aux traditions économiques, aux structures sociales et aux préférences politiques hétérogènes soulevait une crainte majeure : celle de « l’aléa moral » (moral hazard) et du « passager clandestin » (free riding). Certains pays, notamment ceux du Nord de l’Europe perçus comme plus « vertueux » sur le plan budgétaire, redoutaient que des États membres plus « laxistes » (souvent ceux du Sud) ne profitent de la crédibilité apportée par la monnaie unique pour mener des politiques budgétaires irresponsables, sachant que les conséquences négatives (inflation, hausse des taux d’intérêt) seraient diluées sur l’ensemble de la zone, ou que les pays « sérieux » seraient finalement contraints de les secourir pour éviter l’effondrement de l’Union.
L’article 123, couplé à la clause de « no bail-out » (article 125 du TFUE, qui stipule qu’un État membre n’est pas responsable des engagements d’un autre), avait pour objectif politique de neutraliser ce risque. En rendant chaque État membre nominalement responsable de son propre financement sur les marchés, sans recours direct à la banque centrale, on espérait internaliser les coûts d’une mauvaise gestion budgétaire et inciter à la discipline. L’idée était que si un État menait une politique budgétaire insoutenable, les marchés le sanctionneraient par des taux d’intérêt plus élevés, le forçant à corriger sa trajectoire bien avant que la situation ne devienne un problème pour l’ensemble de la zone. L’article 123 était donc un instrument clé de ce dispositif de responsabilisation individuelle et de prévention du risque moral, essentiel pour surmonter les méfiances mutuelles entre États.
3.3 Un Instrument de Convergence (ou de Contrainte) vers un Modèle Économique Spécifique
Au-delà de la stabilité monétaire et de la discipline budgétaire, certains concepteurs de l’UEM voyaient dans l’ensemble des règles de Maastricht, y compris l’article 123, un puissant levier pour encourager (ou forcer) la convergence des économies européennes vers un modèle économique spécifique. Ce modèle, largement inspiré des principes ordolibéraux, met l’accent sur la compétitivité, la flexibilité des marchés (notamment du travail), la maîtrise des dépenses publiques et des réformes structurelles visant à renforcer l’offre.
En privant les États de l’outil de la dévaluation compétitive (avec la monnaie unique) et de l’instrument du financement monétaire direct de leurs déficits (avec l’article 123), on espérait les contraindre à améliorer leur compétitivité par d’autres moyens, notamment par la modération salariale et les réformes structurelles. L’UEM était ainsi perçue par certains non seulement comme un projet monétaire, mais aussi comme un projet de transformation économique et politique, où les contraintes externes serviraient de catalyseur pour des changements internes jugés nécessaires. L’article 123, en limitant la capacité de l’État à amortir les chocs par la politique budgétaire discrétionnaire financée par la monnaie, renforçait la pression en faveur de l’ajustement par les « fondamentaux » de l’offre.
3.4 Les Dynamiques Politiques et les Compromis Incontournables de Maastricht
La création de l’Union Économique et Monétaire (UEM) fut avant tout un processus politique complexe, façonné par les intérêts et les visions des États membres clés, ainsi que par l’influence des institutions techniques. Jacques Delors, alors Président de la Commission Européenne, a indéniablement joué un rôle d’impulsion et de coordination essentiel. Fédéraliste et soucieux d’une dimension sociale, il a œuvré dans un champ de forces où la réalisation de la monnaie unique impliquait des compromis significatifs avec les nations les plus influentes, notamment l’Allemagne, la France, et face aux réticences du Royaume-Uni.
Le « Rapport Delors » de 1989, qui a effectivement tracé la voie vers Maastricht, était lui-même le fruit d’un travail collectif où les gouverneurs des banques centrales ont exercé une influence prépondérante, insufflant les principes de rigueur monétaire et d’indépendance qui allaient caractériser la future BCE. Dans ce contexte, l’acceptation de contraintes telles que l’article 123 peut être comprise non seulement comme une concession de la part de visionnaires comme Delors, mais aussi comme le reflet d’un consensus plus large parmi les élites décisionnelles de l’époque, ou du moins comme le résultat d’un rapport de force où les tenants de la « stabilité » ont eu le dessus.
L’idée d’une stratégie des « petits pas » ou de « l’engrenage » – où la monnaie unique, une fois créée, entraînerait mécaniquement une plus grande intégration politique et budgétaire – a certainement animé certains promoteurs du projet. Cependant, cette seconde étape s’est avérée beaucoup plus ardue et incertaine, laissant l’UEM avec une architecture déséquilibrée : un pilier monétaire centralisé et puissant face à des piliers budgétaires et politiques nationaux fragmentés et contraints. L’article 123 est ainsi le produit d’un processus où l’objectif de créer l’euro a primé, nécessitant des concessions importantes sur les instruments de politique économique nationale et sur l’équilibre institutionnel global de l’Union.
En conclusion de cette section, il apparaît que l’article 123 est loin d’être une simple disposition technique. Il est le résultat d’une interaction complexe entre des courants idéologiques dominants, des objectifs politiques nationaux (notamment la quête de crédibilité monétaire importée du modèle allemand et la prévention de l’aléa moral), et des compromis incontournables pour faire aboutir un projet d’intégration aussi ambitieux que la monnaie unique. Comprendre ces dynamiques politiques est essentiel pour saisir pourquoi une règle, dont les analyses institutionnelles critiques montrent qu’elle est fonctionnellement contournée, a pu être inscrite aussi fermement au cœur du pacte monétaire européen.
4. Les Conséquences et les Critiques d’une Règle Fondée Idéologiquement
L’inscription de l’article 123 au cœur du Traité de Maastricht, fruit des courants idéologiques et des compromis politiques de son temps, n’a pas été sans conséquences profondes sur le fonctionnement de l’Union Économique et Monétaire (UEM) et sur la capacité des États membres à répondre aux défis économiques. Loin d’assurer une discipline vertueuse et une stabilité sans faille, cette règle, en tentant de nier la nature intrinsèquement politique de la monnaie et la relation entre l’État et sa banque centrale, a engendré des mécanismes de contournement complexes, exacerbé les crises et suscité de vives critiques quant à son adéquation et sa légitimité.
4.1 Le « Jeu de Bonneteau » comme Conséquence Inévitable et Système d’Opacité
L’interdiction formelle du financement monétaire direct des États, inscrite à l’article 123 du TFUE, a une conséquence opérationnelle majeure et bien documentée : l’institutionnalisation d’un « jeu de bonneteau » financier. En effet, des analyses institutionnelles détaillées (par exemple, pour l’UEM : Ehnts, 2016a ; Cesaratto, 2016 ; ainsi que, pour les USA : Armstrong, 2019, Bell, 1998 et Tymoigne, 2014) montrent que la banque centrale est inévitablement impliquée dans le processus. Puisque l’État doit pouvoir effectuer ses dépenses – lesquelles injectent de la monnaie de banque centrale dans l’économie – et que les marchés primaires de la dette publique (par lesquels l’État est censé se financer) nécessitent des liquidités pour fonctionner, le rôle de la banque centrale devient incontournable, bien qu’indirect.
Au lieu d’un crédit direct au Trésor, l’Eurosystème fournit la liquidité (réserves de banque centrale) aux banques commerciales, notamment aux Spécialistes en Valeurs du Trésor (SVT), via ses opérations de politique monétaire (opérations de refinancement, achats d’actifs). Ces banques utilisent ensuite cette liquidité pour acheter les titres de dette émis par les États sur le marché primaire. Le Trésor voit son compte crédité et peut dépenser. La règle de l’article 123 est formellement respectée, mais la banque centrale a été l’acteur clé qui a rendu l’opération possible. Ce circuit indirect, s’il maintient une façade de « financement par les marchés », est complexe, potentiellement plus coûteux (en raison des marges d’intermédiation bancaire), et surtout, il obscurcit la compréhension du rôle réel de la banque centrale et de la nature du financement de l’État pour le grand public et même pour de nombreux décideurs. Cette opacité dessert le débat démocratique sur les choix budgétaires et monétaires.
À ce montage institutionnel s’ajoute une autre contrainte tout aussi révélatrice : le compte du Trésor public auprès de sa banque centrale – en France, le Compte Unique du Trésor à la Banque de France – doit impérativement présenter un solde positif à la clôture de chaque journée. Si la réglementation autorise des soldes débiteurs en cours de journée, ceux-ci doivent être résorbés avant la fin de la session comptable. Autrement dit, l’État ne peut pas juridiquement clore la journée avec un compte en déficit, même si ses paiements ont, en réalité, injecté des réserves dans le système bancaire.
Cette règle, rarement discutée dans l’espace public, renforce le caractère performatif du « jeu de bonneteau » : en empêchant que la banque centrale crédite durablement le compte du Trésor, elle oblige l’État à « trouver » sur les marchés privés des liquidités que seule la banque centrale peut créer, indirectement et sous conditions. Il s’agit là d’un prolongement opérationnel de l’article 123, conçu pour maintenir l’illusion d’une séparation stricte entre la banque centrale et le Trésor. En réalité, cette exigence quotidienne de « solde positif » ne repose sur aucune nécessité fonctionnelle ou technique : elle n’est qu’un rituel comptable destiné à renforcer la fiction du financement étatique par le marché, et à dissimuler le rôle fondamental que joue la banque centrale dans la fluidité de l’ensemble du système.
Ainsi, le « jeu de bonneteau » n’est pas seulement un enchevêtrement de circuits financiers : c’est un dispositif idéologique, visant à rendre invisible ce qui est pourtant structurellement indispensable, l’appui permanent, bien qu’indirect, de la banque centrale à la dépense publique.
Ce dispositif ne fait que transformer ce qui pourrait être une simple coordination entre l’État et sa banque centrale en un exercice complexe de « refinancement » par le marché – un marché lui-même soutenu par la banque centrale – pour respecter une règle qui, en dernière analyse, ne fait que mettre en scène une contrainte financière dont l’État, en tant qu’entité capable de mobiliser la création monétaire de l’Eurosystème, pourrait fonctionnellement se passer.
4.2 Procyclicité et Absence de Stabilisateurs Contracycliques Suffisants au Niveau de la Zone Euro
Une critique majeure adressée à l’article 123 et au cadre budgétaire rigide de Maastricht est leur caractère procyclique, notamment en période de crise économique. En interdisant le financement monétaire direct et en soumettant les États à la « discipline » de marchés financiers souvent eux-mêmes procycliques (euphoriques en période de croissance, paniqués en récession), l’architecture de l’UEM a privé les États membres d’un levier essentiel pour mener des politiques budgétaires contracycliques robustes (Terzi, 2016).
Lorsqu’une crise frappe et que les recettes fiscales chutent tandis que les dépenses sociales augmentent (stabilisateurs automatiques), les déficits se creusent. Si les marchés deviennent méfiants et exigent des primes de risque élevées, l’État, ne pouvant compter sur un soutien direct de sa banque centrale (en vertu de l’article 123), peut être contraint de mettre en œuvre des politiques d’austérité pour « rétablir la confiance ». Ces politiques, en déprimant davantage la demande, aggravent la récession, réduisent les recettes fiscales et peuvent même augmenter le ratio dette/PIB – un cercle vicieux clairement observé dans plusieurs pays de la zone euro lors de la crise des dettes souveraines. L’absence d’un budget fédéral européen conséquent et de mécanismes de transferts automatiques a encore amplifié ce problème, laissant les États seuls face aux chocs asymétriques.
4.3 La Crise de la Zone Euro (2010-2012) comme Révélateur des Failles Congénitales
La crise des dettes souveraines a été le test grandeur nature de l’architecture de Maastricht et a brutalement mis en lumière les failles induites par des règles comme l’article 123, confirmant les avertissements précoces lancés par des économistes comme Warren Mosler et d’autres pionniers de la MMT sur les risques de fragmentation et d’insolvabilité pour des États privés de leur autonomie monétaire au sein d’une union sans véritable budget fédéral ni prêteur en dernier ressort explicite pour les dettes publiques (Cullen Roche (2011). L’absence d’un prêteur en dernier ressort explicite pour les dettes publiques des États membres a permis aux marchés de spéculer contre certains pays, créant une dynamique auto-réalisatrice de hausse des taux d’intérêt et de craintes de défaut.
Ce n’est qu’avec la déclaration de Mario Draghi en juillet 2012 (« whatever it takes ») et la mise en place (théorique) de l’Outright Monetary Transactions (OMT) que la BCE a signalé sa volonté d’agir, de facto, comme un rempart contre la fragmentation, en contournant l’esprit, sinon la lettre, des traités. Cette intervention a calmé les marchés, mais a aussi souligné que la survie de l’euro dépendait de la capacité de la BCE à s’affranchir des contraintes idéologiques initiales. Les programmes d’achats d’actifs (QE, puis PEPP durant la pandémie) ont ensuite confirmé ce rôle pragmatique, où la BCE achète massivement de la dette publique sur le marché secondaire, ce qui est fonctionnellement très proche d’une facilitation du financement des États, même si cela est justifié par des objectifs de politique monétaire.
4.4 Un Cadre Global Contraignant la Réponse aux Grands Défis Collectifs
Si l’article 123, en dictant le mode de financement de l’État, a engendré un système opaque et complexe, c’est en conjonction avec le cadre budgétaire européen, notamment le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) et ses limites sur les déficits et la dette publics, que la capacité de l’Europe à mobiliser les investissements publics massifs et soutenus est entravée. Ensemble, ces deux piliers de l’architecture de Maastricht – l’un interdisant le financement monétaire direct (Art. 123), l’autre bornant les soldes budgétaires (PSC) – créent une rigidité qui reste une préoccupation majeure face aux défis du XXIe siècle : plein emploi, transition climatique, souveraineté technologique, résilience sanitaire.
La focalisation sur la « discipline budgétaire », imposée par le PSC et renforcée par la crainte d’une « sanction des marchés » (elle-même exacerbée par l’absence de soutien direct de la BCE due à l’article 123), peut conduire à une sous-utilisation chronique des capacités d’investissement public. La crainte d’enfreindre ces règles, fondées sur une vision idéologique qui perçoit la dette publique comme un fardeau et le financement de l’État comme une contrainte externe, se fait au détriment du bien-être à long terme et de la compétitivité de la zone euro. Même si la clause dérogatoire générale du PSC a été activée durant la pandémie, montrant une flexibilité possible, la pression pour un retour à des règles strictes demeure. Le débat actuel sur la réforme du PSC est une reconnaissance implicite de ces insuffisances, mais il reste à voir si les futures règles s’affranchiront véritablement du paradigme qui a inspiré l’article 123 et les contraintes de déficit initiales.
En conclusion de cette analyse des conséquences, l’article 123, en interdisant une coordination simple et transparente entre l’État et sa banque centrale pour la gestion de la dépense, a contribué à légitimer et à renforcer un cadre budgétaire qui, lui, limite directement le volume des investissements possibles. Loin d’être une simple clause technique, cette disposition est donc une pièce maîtresse d’un édifice idéologique qui a eu des conséquences lourdes, créant un système souvent dysfonctionnel nécessitant des interventions ad hoc de la BCE pour éviter l’effondrement. La critique de cet édifice ne vise pas à prôner un laxisme généralisé, mais à plaider pour une compréhension plus réaliste des mécanismes de financement et pour un cadre de gouvernance économique qui permette de relever les défis collectifs sans être paralysé par des dogmes dépassés.
4.5 L’Opacité du Système comme validation paradoxale de la MMT
Ce recours systématique à des procédures indirectes, à des fictions juridiques et à des enchaînements comptables complexes ne relève pas d’un impératif technique, mais bien d’un choix idéologique assumé. La logique de l’article 123 et de ses prolongements opérationnels, comme l’interdiction de découvert durable du compte du Trésor, est d’effacer toute trace du rôle monétaire de l’État et de simuler un besoin de financement qui n’existe pas fondamentalement pour un État créant sa propre monnaie, en régime de change flottant.
Or, c’est précisément ce que démontre la MMT : dans un tel cadre monétaire, l’État n’a pas besoin de collecter préalablement des ressources financières pour dépenser. Ce sont ses dépenses qui injectent la monnaie nécessaire à l’économie, et non l’inverse. Ce que la machinerie institutionnelle de la zone euro cherche à occulter, c’est la nature performative et fondatrice de la dépense publique dans un système monétaire contemporain.
En ce sens, plus le dispositif se rend opaque, plus il valide le diagnostic de la MMT. Le « jeu de bonneteau » n’est pas une anomalie du système : il est le système, tel qu’il a été conçu pour cacher la vérité fonctionnelle du processus budgétaire et monétaire. L’illusion du « financement » est donc un effet recherché, et non une conséquence involontaire, d’un cadre pensé pour discipliner l’action publique en l’assujettissant à des fictions comptables.
Conclusion
L’analyse rigoureuse des fondements de l’article 123 du TFUE révèle une vérité dérangeante : loin d’être une simple mesure technique de « bonne gestion », cette disposition est l’incarnation d’un choix idéologique qui a délibérément enchaîné les États de la zone euro à une prétendue discipline de marché. Ce « triomphe d’une idéologie » – celle d’un État devant se soumettre aux marchés, d’une monnaie dépolitisée et d’une méfiance envers l’interventionnisme démocratique – a engendré une architecture monétaire non seulement complexe et opaque, mais surtout profondément dysfonctionnelle, comme les crises successives l’ont amplement démontré.
Le « jeu de bonneteau » institutionnalisé, par lequel la Banque Centrale Européenne facilite inévitablement le financement des États tout en préservant la fiction de son interdiction, n’est pas une simple curiosité technique. C’est une supercherie coûteuse, un enfumage technocratique qui entretient des mythes délétères sur la dette publique, justifie des politiques d’austérité destructrices, et détourne le débat public des véritables enjeux : l’allocation des ressources réelles et la poursuite d’objectifs sociétaux cruciaux.
Les crises ont forcé la BCE à agir, à « faire tout ce qu’il faut », prouvant que les limites ne sont pas celles que l’on prétend. Il est temps de traduire cette prise de conscience pragmatique en une réforme fondamentale de la gouvernance économique européenne. Cela exige plus qu’un simple ajustement des règles ; cela demande une rupture avec le paradigme idéologique qui a inspiré Maastricht.
Reconnaître ouvertement la capacité de l’Eurosystème à assurer la viabilité des dépenses publiques nécessaires n’est pas un appel au laxisme, mais une condition pour un débat démocratique honnête sur les priorités collectives – plein emploi, transition écologique, justice sociale. L’enjeu est de libérer la puissance publique de chaînes idéologiques auto-infligées et de la remettre au service des citoyens, en définissant les contraintes là où elles se trouvent réellement : dans nos capacités productives et notre volonté politique, et non dans une prétendue rareté de la monnaie que l’Union peut elle-même créer. L’avenir de l’Europe dépendra de notre capacité à démanteler ces fictions et à reconstruire un pacte fiscal-monétaire fondé sur la lucidité et la souveraineté démocratique.
Références
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- Cesaratto, S. (2016). The state spends first: Logic, facts, fictions, open questions. Journal of Post Keynesian Economics, 39(1), 44-71.
- Cullen Roche (2011). MMT, l’Euro et la plus remarquable prédiction des 20 dernières années. https://mmt-france.org/2020/03/04/mmt-leuro-et-la-plus-remarquable-prediction-des-20-dernieres-annees/
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- Ehnts, D. H., & Paetz, M. (2021). Comment financer la dette COVID ? (Version française de leur article sur le financement de la dette COVID, initialement en allemand). Wirtschaftsdienst.
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- Wray, L. R. (1998). Understanding Modern Money: The Key to Full Employment and Price Stability. Edward Elgar Publishing.
Notes
- Si certes il est au centre de l’analyse effectuée dans ce texte, l’article 123 ne peut être lu isolément : il s’insère dans un réseau de dispositions qui organisent la marginalisation des politiques budgétaires et le primat de la discipline de marché. L’article 126 (discipline des déficits), l’article 125 (interdiction du bailout), l’article 130 (indépendance de la BCE) forment ensemble le socle idéologique du modèle européen hérité du traité de Maastricht.
- Le traité de Maastricht ne s’applique pas seulement aux États-membres de l’Eurozone, mais à l’ensemble des États-membres de l’Union Européenne. Toutefois, dans la mesure où la portée pratique des contraintes financières imposées par le traité est différente et en réalité beaucoup moins contraignante en dehors de l’Eurozone, l’article ne se concentre que sur les États-membres de la zone monétaire.
- Par « jeu de bonneteau », nous entendons un dispositif institutionnel et comptable qui, tout en interdisant formellement à la banque centrale de financer directement les États (article 123 TFUE), en recrée pourtant les effets par des mécanismes indirects. L’État commence par émettre des titres de dette que les banques commerciales souscrivent à l’aide de réserves préalablement injectées dans le système bancaire par la banque centrale (via ses opérations de refinancement ou d’achats d’actifs). L’argent ainsi « préalablement collecté » par les marchés est en réalité une monnaie d’origine publique. Le rôle de la banque centrale comme facilitateur ultime du financement est dissimulé derrière une succession d’opérations financières présentées comme indépendantes. Le circuit monétaire est donc rendu volontairement opaque pour préserver la fiction d’une discipline imposée par les marchés, alors que l’intervention publique est structurelle et indispensable. Le terme renvoie ainsi à une forme de prestidigitation juridique et comptable, comparable à celle d’un joueur de bonneteau manipulant des gobelets pour masquer l’origine réelle de la monnaie utilisée par l’État.
Illustration : https://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_de_Maastricht
