Non, la MMT n’a pas de « vrai problème »

par

Robert Cauneau – MMT France

Ivan Invernizzi – MMT France / Rete MMT Italia

29 mars 2019

Dans un article paru le 26 mars 2019 sur le site zerohedge, Tyler Durden émet des critiques à l’encontre de la MMT. Il évoque tout d’abord longuement l’utilisation qui serait faite, par les partisans de la MMT, du Quantitive Easing comme argument pour justifier l’absence de conséquence fâcheuse à une « création » monétaire expansionniste, aussi bien pour la stabilité économique que vis-à-vis de l’inflation. Il s’attaque ensuite au fait que la MMT analyse la devise comme la conséquence directe du fait que l’État oblige le règlement des impôts qu’il émet dans sa devise, et, contrairement à la MMT, il avance l’idée selon laquelle seule la confiance en la devise peut la justifier.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous a semblé important de préciser que cet article manque cruellement de références et que Tyler Durden, à plusieurs reprises, ne montre qu’une connaissance superficielle du sujet, notamment ne prenant pas en considération la caractéristique la plus fondamentale de la MMT, à savoir la devise comme monopole public1. En l’occurrence, il ne critique donc pas la MMT, mais un système qu’il croit être la MMT.

Même si l’article de Tyler Durden manque cruellement de rigueur intellectuelle, même si le ton utilisé est particulièrement désagréable, avançant par exemple l’idée selon laquelle la MMT n’aurait rien compris à la devise, les auteurs de cet article ont souhaité, d’une certaine manière, faire une entorse au principe du parallélisme des formes, ne voulant pas faire écho à la tonalité agressive utilisée. Ils ont préféré lui répondre sur un ton serein, courtois et constructif.

La MMT n’a jamais été favorable au Quantitative Easing (QE)

L’article traite longuement de QE, qui serait un sujet majeur pour la MMT . Mais Tyler Durden s’est bien gardé de présenter des citations et ainsi de fournir ses sources. En réalité, si certains activistes de la MMT ont pu, à un moment ou à un autre, utiliser le QE comme argument en sa faveur, ses principaux penseurs, comme Warren Mosler ou Bill Mitchell, ne l’ont jamais utilisé comme pouvant être une prémisse de la devise, comme un moyen pour solutionner quoi que ce soit. En effet, selon la logique de la MMT, le QE s’analyse non comme une création d’Actifs Financiers Nets (AFN)2, mais à la fois comme un retrait d’AFNs, paradoxalement comme une sorte d’austérité, ainsi que comme un changement dans leur composition, les faisant passer de la catégorie des titres à celle des réserves. Le QE ne peut donc en aucune façon être évoqué pour argumenter la justesse et la légitimé de la MMT. Utiliser cet argument ne peut que nuire à la MMT, et créer de la confusion, car il n’est pas cohérent avec elle.

Il est absolument non fondé d’écrire que la MMT analyse le QE comme une politique qui rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Cette affirmation est à l’opposé de l’analyse qu’en fait la MMT, qui considère plutôt que, si le taux d’intérêt est diminué, cela entraîne une baisse des taux d’intérêt sur les titres d’État. Le résultat direct en est une diminution de la rente financière au profit des détenteurs de ces titres, ce qui peut être souhaitable en raison du caractère parasitaire de la rente. Mais le QE ne pourra jamais être efficace, car il ne crée pas d’AFN. Il ne permet donc pas d’augmenter la production nette des agents, ni de se procurer davantage de devises dans le but de payer les impôts. Il ne fait en réalité que diminuer le déficit public en réduisant les taux d’intérêt sur les titres d’État, ce qui en soi est de l’austérité.

A contrario, la MMT considère que, si effectivement il peut être souhaitable de diminuer le taux d’intérêt sur les titres d’État, le fait de le réaliser sans contrepartie, sans une augmentation du déficit primaire, entraîne une diminution du déficit public et constitue une politique d’austérité, au détriment des possesseurs de titres d’État, donc a priori de rentiers aisés (personnes physiques ou morales). Le raisonnement est donc ici inversé, ce qui montre que Tyler Durden fait preuve de méconnaissance de la MMT.

Enfin, la MMT n’a jamais proposé le QE for the people. Des MMTers ont pu avoir des contacts avec ceux qui l’ont proposé. Ainsi, Warren Mosler a eu l’occasion de s‘exprimer sur ce sujet, défendant l’idée selon laquelle le QE est une politique monétaire, tandis que la politique budgétaire, s’appuyant sur le déficit public, lui est de loin préférable pour stabiliser l’économie. Il y a donc là également une confusion de la part de Tyler Durden.

Le rôle des impôts dans la logique de la MMT n’a pas été compris.

Tyler Durden prétend que la définition de la devise n’a rien à voir avec les impôts, et que la MMT serait basée sur l’idée selon laquelle la devise tire sa valeur de l’imposition. Effectivement, comme il le développe, on peut considérer qu’il n’ y a pas d’impôt à payer sur une réserve de richesse qui est conservée, donc non vendue. De même, il est évident qu’il existe de nombreuses façons de créer de la réserve de valeur, sans pour autant prendre en compte la nécessité de cumuler de la devise, donc sans faire de relation avec eux. Mais cette évidence n’est en rien contradictoire avec la MMT, pour laquelle le rôle des impôts n’est pas de créer une réserve de valeur, mais de rendre obligatoire la recherche de devises dans le but de les payer, ce qui nécessite, pour l’obtenir, de vendre des biens matériels et du travail en devises.

De plus, si effectivement il n’est pas possible de payer ses impôts avec son patrimoine, si également il est possible de conserver de la valeur à ce patrimoine sans payer d’impôts, le fait de pouvoir vendre son patrimoine n’est rendu possible que grâce à l’existence d’un marché, d’un système généralisé d’échanges de devises.

Tout ce qui précède montre bien que Tyler Durden n’a en fait aucune compréhension du rôle des impôts dans la logique de la MMT.

Selon la MMT, le système monétaire n’est pas basé sur la confiance en la devise

Quant à la confiance dans la devise, la question se pose d’abord de savoir par qui la monnaie est instituée et ensuite acceptée. Lorsque l’on interroge l’histoire, on se rend immédiatement compte que la devise est une créature de l’État. En effet, celui-ci, ou le souverain, ont joué un rôle moteur pour instituer la devise, et pour l’imposer, dans les deux sens du terme. En obligeant ses sujets à payer l’impôt dans sa devise, la pratique des échanges monétaires est devenue un passage obligé pour pouvoir payer les taxes. Celui-ci, pour faire la guerre et imposer son pouvoir, devait lever une armée.3

L’émergence des sociétés nous montre également que l’apparition de la devise est étroitement liée à la nécessité pour les autorités, religieuses ou autres, de s’approprier une partie du surplus économique. Elle peut donc être analysée comme un mécanisme de distribution imposée par le pouvoir en place, de la population productrice vers les palais. La devise ne peut donc exister sans le pouvoir et sans l’autorité. 4

Cependant, certains économistes considèrent que la coercition exercée par le pouvoir, la violence du procédé fiscal, n’est pas une condition suffisante pour justifier la devise. Selon eux, si, certes, d’une part, l’autorité souveraine oblige les agents à se procurer l’unité de compte de l’État pour régler les prélèvements obligatoires, favorisant ainsi sa circulation, d’autre part, la devise doit bénéficier de la confiance des agents5.

Mais la question se pose de savoir si cette confiance est nécessaire, et représente vraiment un élément moteur pour justifier la devise. En effet, par exemple, lorsque la France a cessé de taxer les impôts en francs, celui-ci a cessé d’être utilisé, et a perdu toute valeur. Si quelqu’un qui trouve aujourd’hui des billets ou des pièces de monnaie dans le grenier de la maison de son grand-père, ils ne lui serviront pas à autre chose qu’à constituer des objets de collection. On peut également se poser la question de savoir pourquoi les Italiens n’acceptent pas, en Italie, d’utiliser le franc suisse, alors que, bien évidemment il est utilisé en Suisse. Ce n’est pas la confiance qui est à l’origine de ces situations, mais le fait que les devises concernées sont exigées ou non par l’État pour payer les impôts qu’il émet.

De même, si l’on accepte, sur la base de faits historiques incontestables, l’idée selon laquelle l’État a le pouvoir d’imposer la taxation sur un territoire, s’il a donc la capacité d’obliger, d’une manière effective, à s’approvisionner de sa devise pour payer les impôts, on se rend immédiatement compte, d’une manière logique, qu’il doit exister une offre généralisée de biens matériels et du travail vendus dans la devise de l’État. Les agents peuvent avoir toute la confiance qu’ils veulent dans la capacité de maintien de la valeur de l’or, des diamants ou de toute autre chose, mais cela n’altère en rien la nécessité de l’existence de l’offre de biens matériels et du travail en devises. Il n’y a pas ici de compétition entre moyens d’échanges, que l’on considérerait plus ou moins capables de maintenir la valeur. La taxation oblige de toutes façons à disposer d’une production, d’une offre de biens matériels et de travail en devises, d’un point de vue logique, pour une devise déterminée.

La taxation en elle-même est donc suffisante pour justifier la devise. Ce constat permet de déboucher sur le fait que l’offre de biens matériels et de travail en devises en échange de quelque chose d’autre, donc le marché, n’a rien de naturel. Le marché en devises est rendu nécessaire par le fait que l’État taxe une population qui est plus grande que celle qu’il approvisionne directement en devises par les dépenses publiques, obligeant les autres à s’approvisionner auprès d’elles. Il s’agit d’une construction, d’une suite logique de la coercition exercée par le pouvoir.6

Il apparaît donc clairement que la notion de confiance en la devise n’apporte rien à la justification de sa propre existence et que l’obligation faite par la puissance publique de payer ses impôts dans cette devise se suffit à elle-même pour en asseoir la légitimité.

La MMT n’a donc pas de « vrai problème »

Si la MMT n’explique pas tout, autant au niveau de la dimension économique que sociale en général, si elle ne propose bien évidemment pas de solution à tous les problèmes, elle constitue un système absolument cohérent qui explique le fonctionnement de la devise. Personne n’est dans l’obligation d’y adhérer. Mais ses partisans sont certainement légitimes à exiger que ses opposants, afin d’éviter de parler et d’écrire d’une manière superficielle, et donc trompeuse, doivent d’abord s’imprégner de ses fondements. Il s’agit là tout simplement d’une question d’honnêteté intellectuelle.

Les auteurs d’articles, comme Tyler Durden, qui n’ont pas voulu, ou pas pris le temps, de se pencher sur les fondamentaux de la MMT, qui manquent donc sérieusement de connaissances du sujet, ainsi que de références, devraient comprendre qu’ils portent une lourde responsabilité auprès du grand public qui, lui, par contre, peut légitimement avancer l’excuse de l’absence d’approfondissement du sujet.

Et, ce que les auteurs de ce genre d’articles ignorent, ou semblent ignorer, est le fait que, à ce jour, malgré la quantité de critiques émises, aucun opposant suffisamment connaisseur n’a réussi à apporter une contradiction qui démontrerait que la MMT n’est pas une théorie à la fois solide, cohérente et juste.


Bibliographie

Tcherneva, Money, Power and Monetary Regimes, 2016, Levy Economics Institute of Bard College

Mosler et Forstater, A General Analytical Framework for the Analysis of Currencies and Other Commodities, 1999, The Center of the Universe

Mosler, The Currency as a Public Monopoly, 2014, Seminar at University of Bergamo

Mosler, Full Employment and Price Stability, 1997, The Center of the Universe

David Graeber, Dette, 5000 ans d’histoire, 2013, Les liens qui libèrent

Les Économistes Atterrés, La Monnaie, un enjeu économique, 2018, Points


Notes

1. Warren Mosler et Mathew Forstater, Un cadre analytique général pour l’analyse des monnaies et autres produits, 1999, https://mmt-france.org/2019/02/15/un-cadre-analytique-general-pour-lanalyse-des-monnaies-et-autres-produits/

Warren Mosler, La monnaie en tant que Monopole Public, 2014, https://mmt-france.org/2019/02/28/mmt-la-monnaie-en-tant-que-monopole-public/

Pavlina R. Tcherneva, Monnaie, Pouvoir et régimes monétaires, 2016, https://mmt-france.org/2019/02/21/monnaie-pouvoir-et-regimes-monetaires/

2. Le concept d’Actif Financier Net (AFN), considéré dans le cadre du monopole de l’État sur sa devise, est au cœur de la MMT. Il distingue la MMT de l’ensemble des autres approches monétaires, aussi bien orthodoxes qu’hétérodoxes. Dans la logique de la MMT, les AFNs sont la base financière sur laquelle repose l’économie ; c’est la richesse financière qui reste à l’agent économique une fois que toutes ses dettes ont été réglées. Ils constituent la partie de la richesse financière qui ne provient pas de l’endettement, mais des paiements définitifs.

3. David Graeber, Dette, 5000 ans d’histoire. Les liens qui libèrent, 2013.

4. Pavlina R. Tcherneva, Voir Note n°1

5. Les Economistes Atterrés, La monnaie, un enjeu politique, Point, 2018

6. Pavlina R. Tcherneva, Voir Note n°1


Illustration : https://pixabay.com

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